La « guerre des Noms », un nouvel espoir
Après des années de recherches, d’enquêtes et de réunions, un consensus s’était fait sur la liste des victimes de la Seconde Guerre mondiale qui figureraient sur le « Mur des Noms » de Schirmeck. Des voix se sont élevées – bien tardivement – pour remettre en cause les travaux menés par le comité scientifique d’alors, mettant un coup de frein à l’ensemble du projet. Le Grand Est relance aujourd’hui la réflexion.
Si l’on remontait dans le temps, on se souviendrait que le « Mur des Noms » de Schirmeck était, à l’origine, un projet de l’association des Orphelins de pères « Malgré-Nous » d’Alsace et de Moselle (OPMNAM) alors présidée par feu Bernard Ernewein. C’était en 2007. Depuis, le projet a évolué, pris de l’ampleur. Aux incorporés de force morts ou disparus initialement prévus se sont ajoutés l’ensemble des victimes alsaciennes et mosellanes de la Seconde Guerre mondiale. De cette liste de victimes ont toutefois été exclus les engagés volontaires (quels qu’aient été les motifs et les conditions de leur engagement), c’est-à-dire ceux qui n’ont pas obtenu la fameuse mention « mort pour la France » (MPLF).
Le projet était bien avancé quand, en 2017, quelques voix se sont fait entendre, très émues de « découvrir » que des soldats, des déportés ou des résistants pouvaient côtoyer des incorporés de force dans la Wehrmacht mais, surtout, dans la Waffen-SS (même reconnus « MPLF »). Une question stérile montée en épingle qui n’a finalement pas provoqué l’abandon pur et simple du projet. Aujourd’hui, c’est dans un contexte apaisé qu’est né un nouveau comité scientifique chargé de reprendre le dossier et de proposer un monument qui n’aura peut-être plus l’aspect d’un mur. Malgré un profond renouvellement des membres du comité, ceux-ci reprendront les travaux de leurs prédécesseurs. Notons toutefois que certaines objections ont été émises. Ainsi, par exemple, la légitimité de l’attribution du statut « MPLF » a été remise en question par certains (attribution trop facile, erreurs). Or, même si des erreurs sont possibles, une remise en cause est très délicate et relève de l’Etat. De plus, l’attribution « MPLF » figure en marge de l’Etat-Civil, ce qui relève du Tribunal de Grande Instance. Et qui peut dire si un collabo, un membre du parti ou un Kapo ne se trouve pas parmi les victimes retenues pour le Mur ? Au total, même si il a été souligné que les survivants de la guerre en ont tous été les victimes, seuls figureront les morts et les disparus comme cela avait été précédemment décidé.
Si les orphelins de « Malgré-Nous » se réjouissent que la construction d’un monument commémoratif soit toujours d’actualité, ils apportent toutefois un bémol à leur satisfaction. Leur président, Gérard Michel, constate : « Le précédent conseil scientifique était gardé secret, nous n’avions pas été informés de sa composition… Le nouveau conseil scientifique exclu d’entrée les familles des incorporés de force concernées et les associations ». Il sera particulièrement attentif à la bonne mise en avant de la Sippenhaftgesetz (loi de responsabilité collective) dans le nouveau projet et, si cela n’était pas fait, il pourrait même s’opposer à ce que les noms de son père et de son oncle figurent sur le futur monument.
Que sera ce monument mémoriel des 54000 Alsaciens-Mosellans morts ou disparus pendant la dernière guerre (chiffre approximatif car les dépouillements ne sont pas totalement achevés concernant les victimes civiles mosellanes), dont 30400 à 31 000 incorporés de force ? La présidente du nouveau conseil scientifique Frédérique Neau-Dufour, historienne et directrice du centre européen du résistant déporté du Struthof, précise que « ce monument évolutif, en prise étroite avec les travaux des historiens, donnera sa place particulière à chacune des catégories de morts et disparus alsaciens-mosellans. Il ne s’agit pas de hiérarchiser les souffrances, mais de rendre perceptible la complexité d’une histoire marquée par l’annexion, et de la transmettre dans une optique pédagogique revendiquée ». La solution d’un monument numérique, plus souple et plus évolutif qu’un monument classique, n’est donc pas à exclure. Mais ce n’est qu’une possibilité envisagée parmi d’autres. Par contre, aucune échéance n’a été fixée. Se pose alors la question suivante : un tel monument aura-t-il encore du sens si celui-ci est érigé après la disparition de tous les témoins de cette époque ?
Nicolas Mengus