ORADOUR : DES INCORPORES DE FORCE OU DES VOLONTAIRES ?

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Nul ne l’ignore, le 4 octobre 2010, l’ADEIF (Asso­cia­tion des Déser­teurs, Evadés et Incor­po­rés de Force) a perdu son procès contre Robert Hébras, un rescapé de l’ef­froyable tragé­die du 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane. Etait mise en cause sa brochure « Oradour, le drame heure par heure » (et sa nouvelle version modi­fiée) dans laquelle il insi­nuait que les 13 Alsa­ciens incul­pés au procès de Bordeaux en 1953 n’étaient pas des Malgré-Nous, mais des volon­taires : « Je porte­rais à croire que ces enrô­lés de force fussent tout simple­ment des volon­taires » (p. 34). L’ADEIF a décidé de faire appel.

A l’an­nonce du verdict, le 4 octobre dernier, plusieurs voix se sont élevées pour protes­ter contre le juge­ment rendu par le Tribu­nal de Grande Instance de Stras­bourg, dont celle de Jean-Laurent Vonau, profes­seur émérite des Univer­si­tés de Stras­bourg, vice-président du Conseil Géné­ral du Bas-Rhin et auteur du livre Le procès de Bordeaux, les Malgré-Nous et le drame d’Ora­dour. Celui-ci a clai­re­ment dénoncé « ce néga­tion­nisme (il faut bien appe­ler les choses par leur nom) [qui] est parti­cu­liè­re­ment fréquent à l’en­contre des Alsa­ciens impliqués dans le drame d’Ora­dour » (1). En effet, dans ses brochures, Robert Hébras nie un fait histo­rique avéré, la réalité d’un crime de guerre (selon le juge­ment rendu à Nurem­berg à propos de l’en­rô­le­ment forcé d’étran­gers dans l’ar­mée alle­mande) dont les « 13 » ont été les victimes. Pour reprendre la défi­ni­tion du ministre des Anciens combat­tants et victimes de Guerre Laurent Casa­nova en 1946 : ce sont des dépor­tés mili­taires.

Des incor­po­rés de force, vrai­ment ?

Or, l’en­rô­le­ment forcé de quatre des « 13 » a été établi par un non-lieu en 1948 (voir en PJ) : le Tribu­nal mili­taire de Bordeaux a jugé que les incul­pés Busch, Lohner, Grie­nen­ber­ger et Giedin­ger « ont été incor­po­rés dans l’ar­mée alle­mande posté­rieu­re­ment à cette ordon­nance [celle d’août 1942], l’ont été malgré eux et que l’on ne saurait leur faire grief d’avoir porté les armes contre la France, alors surtout que par ordon­nance du 1er octobre 1943 le Gaulei­ter Wagner avait rendu légales les terribles mesures déjà appliquées contre les insou­mis (…) et contre leurs parents ». Il est donc établi que ces quatre-là sont des incor­po­rés de force. Les juges ajoutent aussi « que chaque fois qu’ils ont pu échap­per à l’em­prise immé­diate de la « disci­pline » alle­mande, ils ont sauvé des personnes qui, sans leur inter­ven­tion, n’au­raient pas échappé aux massacres ». Il est donc mani­feste que nous sommes loin du SS fana­tique assas­sin de femmes et d’en­fants. C’est un détail impor­tant : ces quatre ne sont pas volon­taires et ne sont pas des tueurs fana­tiques. A la même époque, Graff, le « 13e », était lui aussi proposé pour l’am­nis­tie. Son cas sera joint aux « 12 » et, bien qu’en prison, il est simi­laire aux quatre déjà vus.
Leur enrô­le­ment de force a été égale­ment établi, en même temps que celui de huit autres Français d’Al­sace par une enquête des RG de 1951 (voir en PJ). Une longue intro­duc­tion explique la mise en place et le dérou­le­ment de l’in­cor­po­ra­tion forcée des Alsa­ciens. Puis viennent les conclu­sions de l’enquête :

 « La qualité d’in­cor­poré de force de Busch est incon­tes­table »

 « Daul est incor­poré de force »

 « Les rensei­gne­ments recueillis sur Elsaes­ser sont très favo­rables quant à son atti­tude au point de vue natio­nal pendant l’oc­cu­pa­tion (…) ses senti­ments ayant toujours été anti-alle­mands ».

 « L’in­té­ressé [Giedin­ger] est incor­poré de force »

 Grie­nen­ber­ger : « Sa qualité d’in­cor­poré de force a été attes­tée »

 « Hoeh­lin­ger est incor­poré de force »

 Lohner : « Son incor­po­ra­tion de force ne fait l’objet d’au­cun doute »

 Niess : « Sa qualité d’in­cor­poré de force est attes­tée »

 « Ochs est incor­poré de force »

 Pres­tel : « Sa qualité d’in­cor­poré de force a été attes­tée »

 « Spaeth est incor­poré de force »

 « La qualité d’in­cor­poré de force de Weber est incon­tes­table ».

Rappe­lons que si certains passages de ce rapport sont au condi­tion­nel, cela tient au fait que les Nazis ne déli­vraient évidem­ment pas de certi­fi­cat d’in­cor­poré de force. Ce n’est donc pas au procès de Bordeaux que les « 13 » ont été recon­nus incor­po­rés de force ainsi qu’il est prétendu dans le juge­ment du 4.10.2010 (p.5), mais bien avant.

Rappe­lons aussi qu’en 1951, le Tribu­nal mili­taire de Bordeaux a inno­centé l’an­cien lieu­te­nant-colo­nel de la divi­sion « Das Reich » Otto Weidin­ger de l’ac­cu­sa­tion d’être un crimi­nel de guerre. Cela s’est fait dans le cadre du procès des pendai­sons de Tulle, mais il a aussi déposé pour Oradour. Il a été libé­ré… Les Alsa­ciens n’au­ront pas cette « chance » deux ans plus tard. Il convient aussi de souli­gner que les « 13 » n’ont pu être incul­pés que grâce à la « loi Oradour » de 1948 et non à cause de ce qu’ils ont pu faire à Oradour le 10 juin 1944.

Un Alsa­cien serait-il à l’ori­gine du drame ?

Il convient encore de rappe­ler que R. Hébras et A. Desour­teaux ont cosi­gné Oradour/Glane. Notre village assas­siné où est rela­tée l’ar­ri­vée d’un Alsa­cien permis­sion­naire, en uniforme, à Oradour au prin­temps 1944 pour rendre visite à des amis – Odile et Emile Neumeyer – , son mauvais accueil par la popu­la­tion – « la place d’un soldat alle­mand n’était pas ici » -, la possi­bi­lité qu’il aurait eu de déser­ter et son départ en larmes. Il est ensuite fait la suppo­si­tion suivante : l’Al­sa­cien, retourné dans sa caserne, pour­rait en avoir parlé à ses cama­rades, voire à ses supé­rieurs, et ses dires, mal inter­pré­tés, pour­raient avoir motivé une inter­ven­tion de la « Das Reich » à Oradour et, en consé­quence, être une des causes du massacre ; il est toute­fois précisé que cela n’est pas certain : « Je ne crois pas à une influence quel­conque, mais sait-on jamais  » (p.168). Ce n’est à nouveau qu’un « avis », mais qui insi­nue, sans fonde­ment, qu’un Alsa­cien pour­rait être à l’ori­gine de la tragé­die. C’est une accu­sa­tion dégui­sée, à peine voilée et, en tout cas, une preuve de mauvaise foi.

Au vu de ces publi­ca­tions, peut-on vrai­ment accor­der quelque crédit à Robert Hébras lorsqu’il décla­rait en 2008 : « Je n’en ai jamais voulu aux Alsa­ciens » (2) ?

En fait, il s’avère que nous sommes face à des insi­nua­tions, voire des conclu­sions malveillantes non à l’égard des offi­ciers Waffen-SS, donneurs d’ordres et respon­sables de la conduite de leurs hommes, mais à l’égard des seuls Alsa­ciens. A chaque fois, seuls les Alsa­ciens sont mis en avant de façon exclu­si­ve­ment néga­tive. Et cela ne se confirme-t-il pas lorsque l’avo­cat de Robert Hébras déclare que les « incor­po­rés de force ont été méti­cu­leux dans leur travail » à Oradour, puisqu’il n’y a eu que 6 survi­vants sur 642 morts (3) ? Pour­tant, on sait, de manière offi­cielle et irré­fu­table, que les « 13 » ont sauvé des vies à Oradour (non-lieu de 1948, procès de 1953) et qu’il n’a pas été prouvé qu’ils ont assas­siné des civils (ceux qui ont parti­cipé sous la contrainte aux pelo­tons d’exé­cu­tion dans les granges et celui qui a abattu une femme dans un moment d’af­fo­le­ment ne l’ont pas caché). Quant aux victimes origi­naires d’Al­sace, elles ne sont que rare­ment évoquées…

Evidem­ment, on peut aussi avan­cer qu’un témoin a le droit de s’ex­pri­mer libre­ment et d’émettre des opinions. Soit, mais ni dans le livre cité, ni dans la brochure mise en cause, on ne se situe dans le cadre du simple témoi­gnage. En effet, dans un témoi­gnage, l’in­té­ressé ne peut parler que de ce qu’il a person­nel­le­ment vécu. Or, ce n’est mani­fes­te­ment pas le cas dans ces deux publi­ca­tions, puisque les auteurs y exposent les faits et essaient de comprendre ce qu’il s’est passé à Oradour. Nous sommes donc dans l’ana­lyse des événe­ments du 10 juin 1944 et non plus dans le cadre d’un témoi­gnage pur. Les auteurs sont donc à la fois témoins et histo­riens amateurs.

Un néga­tion­nisme auto­risé ?

S’il est vrai que le texte de R. Hébras n’est pas « une affir­ma­tion révi­sion­niste de la réalité de l’in­cor­po­ra­tion forcée d’Al­sa­ciens-Mosel­lans dans l’ar­mée alle­mande  », il remet pour­tant en cause celle des « 13 » qui a été jugée en 1948 et établie par les RG en 1951. Il est en outre reconnu, plus loin, que « Monsieur Hébras s’est, à tort, forgé » ce point de vue selon lequel les « 13 » pour­raient être des volon­taires. Dans ce cas, puisqu’il a tort, cela ne signi­fie-t-il pas 1) qu’il sait que les « 13 » ne sont pas des volon­taires et 2) que la demande de l’ADEIF est légi­time ? Alors pourquoi donner raison à R. Hébras ? Simple­ment parce qu’il a voilé son accu­sa­tion menson­gère d’un « je porte­rais à croire que… », véri­table porte ouverte à tous les néga­tion­nismes ?

S’il est vrai que les propos de R. Hébras ne sont pas « une inten­tion de nuire aux asso­cia­tions deman­de­resses  », ils propagent cepen­dant l’idée fausse que les « 13 » pour­raient tout de même être des volon­taires, ce qui, par voie de consé­quences, laisse entendre que (beau­coup ?) d’autres incor­po­rés de force alsa­ciens ou mosel­lans pour­raient, eux aussi, s’avé­rer être des volon­taires. Et, ne soyons pas dupes, qui dit volon­taire, dit nazi et, partant de là, dit assas­sins en puis­sance. On en arrive vite à la conclu­sion rapide et erro­née : les « 13 » sont les assas­sins d’Ora­dour.

S’il est vrai que R. Hébras a modi­fié sa première version « afin de répondre à l’émoi ressenti par les « Malgré-Nous »  », pourquoi n’a-t-il pas tourné sa phrase de manière à ce qu’elle ne suscite plus cette émotion, c’est-à-dire en réta­blis­sant simple­ment et sans ambi­guïté une vérité histo­rique en prin­cipe incon­tes­table ? Rien n’em­pê­chait Robert Hébras de modi­fier serei­ne­ment son avis sur la ques­tion, sans pour autant être empê­ché de « toujours s’in­ter­ro­ger (…) sur la nature exacte de l’im­pli­ca­tion  » des « 13 ». Alors, s’il n’a mani­fes­te­ment pas choisi la solu­tion d’apai­se­ment, est-ce parce qu’il attend, depuis l’am­nis­tie de 1953, une demande de pardon de l’Al­sace, c’est-à-dire un aveu de culpa­bi­lité (4) ?

Au vu de tout ceci, on serait porté à croire que, puisqu’il semble y avoir lieu de remettre en cause des juge­ments ou enquêtes (1948, 1951), il y aurait sans doute aussi lieu de révi­ser le procès de Bordeaux de 1953. En effet, dans la mesure où il a été jugé que R. Hébras, en tant que témoin, est habi­lité à énon­cer des contre­vé­ri­tés histo­riques, à pratiquer un néga­tion­nisme vis-à-vis de 13 victimes d’un crime de guerre, est-ce que cela ne risque pas de jeter la suspi­cion et le discré­dit sur tous ses témoi­gnages anté­rieurs et futurs, écrits ou oraux ? Est-il possible qu’ils puissent conte­nir des inexac­ti­tudes ? Et que penser, dans ces condi­tions, de sa dépo­si­tion lors du procès de Bordeaux le 22.1.1953 (5) ? Est-elle, elle aussi, enta­chée de contre­vé­ri­tés et pour­rait-elle, de ce fait, avoir provoqué la condam­na­tion des « 13 », ce qui serait inac­cep­table ? Au vu de cet élément nouveau, est-il réel­le­ment utopique d’en­vi­sa­ger la révi­sion du procès de 1953 comme l’avait déjà demandé feu Me Richard Lux (6) ?

Au total, il aurait été simple pour Robert Hébras de modi­fier son texte sans aucune ambi­guïté. Force est de consta­ter qu’il ne l’a pas fait, mettant en danger tous les efforts faits jusqu’à présent pour apai­ser la situa­tion entre compa­triotes du Limou­sin et d’Al­sace à propos de cette tragé­die commune qu’est Oradour-sur-Glane. Dommage.

Nico­las Mengus

* Notes:

 1) Les Dernières Nouvelles d’Al­sace du 12.10.2010 et www.malgre-nous.eu.

 2) Les Dernières Nouvelles d’Al­sace du 11.6.2008.

 3) Le Popu­laire du Centre, Le Répu­bli­cain Lorrain et Les Dernières Nouvelles d’Al­sace du 7.9.2010.

 4) Cita­tions extraites du juge­ment du 4.10.2010 p. 5 et 6.

 5) Minutes du procès, f°45–49.

 6) Voir www.malgre-nous.eu.

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