Les télévisions françaises ont ravivé lundi la mémoire douloureuse de la tuerie d’Oradour, 642 assassinats dans la seule journée du 10 juin 1944. Sur les écrans, on découvre la tentative de repentance du Waffen SS Werner, inculpé par les tribunaux de son pays pour sa participation au drame. Werner plaide sur BFM TV : « Moi, Dieu merci, je n’ai pas eu à tirer une seule fois parce que j’étais à distance. Juste avant, j’avais empêché un jeune garçon d’entrer dans le village. Mes supérieurs voulaient me punir pour ça ». Nous avons retrouvé ce « jeune garçon ». Il a aujourd’hui 88 ans et vit à Lille. Ouvrant pour la première fois publiquement son coeur et sa mémoire.
Du petit bourg de Beauvallée peut-on rejoindre Oradour à trois kilomètres à travers champs ou à six kilomètres par la route qui mène au pont de la Glane, à l’entrée du village. André Boijeaud a 19 ans et il connaît bien la région entre Limoges et Angoulême. Son père Alfred est né à Oradour et il fait beau, ce 10 juin de la fin de la guerre. Un soleil qui masque mal l’ombre noire portée par la débâcle nazie. Les alliés viennent de débarquer en Normandie et les Allemands ripostent par de sanglantes répressions dans leur repli.
Vite, fuir…
Le père du jeune André est une figure du commerce Lillois qui doit mettre sa famille à l’abri après le bombardement de Lille-Délivrance. André, son frère jumeau George et Claude embarquent en urgence en camion avec les enfants de la famille Honoré. On les emmène à Beauvallée, dans cette belle propriété que les Boijeaud ont acquis pour leurs vacances au pays. Des vacances ? « On avait peur. La veille du massacre, j’ai vu la colonne Das Reich passer devant la maison, elle allait vers Oradour » . En chantant. « Je me souviens qu’ils chantaient sans imaginer bien sûr ce qui allait se produire ». Les faits s’enchaînent. Le matin même du drame, André se blesse au pied. Enfourche sa bicyclette et file vers Oradour qui dispose d’un médecin. Un pont permet le passage de la Glane à l’entrée du village. En faction sont postés deux soldats Allemands. L’un d’eux l’aperçoit, lui ordonne de stopper et l’oblige à faire demi-tour. « Ce soldat allemand m’a sauvé la vie d’un geste de la main, témoigne André. S’il me laisse passer le pont de la Glane, c’est sûr, je suis dedans et je ne reviens pas ».
Les nouvelles claquent le lendemain, tous les habitants ont été éliminés par les SS. « Je me souviens, on voyait le grand incendie, on avait tellement peur qu’on a creusé une grande tranchée pour se cacher dans les futaies ». André se souvient encore. « C’était le jour du renouvellement des bons de ravitaillement et il y avait beaucoup de monde à Oradour… »
Cette histoire, André l’avait déjà racontée à ses amis et à ses proches. Mais jamais publiquement. Sans Michel, un vieux complice et autre figure du commerce lillois, sans doute aurait-il une fois de plus gardé ses confessions pour lui. « C’était la fin de la guerre, vous savez, on n’imagine pas ce qui s’est passé, toute cette horreur, les femmes et les enfants brûlés vifs dans l’église… L’émotion, c’est difficile, ça me dépasse, c’est comme si c’était trop gros pour moi ».
A présent inculpé, le SS Werner peut-il se racheter une conscience en déclarant avoir sauvé une vie ? Il y a une phrase juive, « qui sauve une vie sauve toutes les vies ». Un homme aurait personnellement sauvé un « jeune garçon » quand c’est l’ordre nazi qui aurait assassiné toute une population. Simple système de défense ou avis sincère toute une vie après l’innommable ? Après le massacre, André a rencontré Nicole. Il a fait sa carrière dans le négoce de vin avec les Entrepôts bien connus du Sacré-Cœur de la rue Ratisbonne tout en présidant longtemps l’union des cafetiers lillois. Elle a pour sa part tenu le bar Vinci pendant 23 ans et ensemble voient-ils grandir avec bonheur cinq petits fils et un arrière petit fils.
« La colonne n’avait pas d’autre choix que de passer par ce pont que je n’ai pas pu franchir, souffle André. Werner… je n’ai aucun doute, c’est sûr il me sauve la vie. On était si jeunes… Le revoir, je ne sais pas… Peut-être que je lui dirai merci ».
Oradour-sur-Glane, 10 juin 1944
La petite bourgade limousine fut le théâtre du plus grand massacre de population perpétré en France par les nazis pendant la deuxième guerre mondiale.
Au repos autour de Bordeaux et de Montauban, la division SS Das Reich fait mouvement vers la Normandie et apprend le débarquement allié sur les plages normandes. Le repli s’accompagne de représailles sanglantes. Le 9 juin, 99 hommes sont pendus à Tulle. Le 10 juin, la colonne fait halte à Oradour-sur-Glane et impose au garde champêtre de rassembler toute la population, sans exception et sans délai, sur la place du Champ-de-Foire, munis de leurs papiers, pour une vérification d’identité.
Les SS pénètrent dans toutes les maisons pour réunir tout le monde, même les personnes malades. Ils vont aussi chercher des habitants des hameaux voisins, les récalcitrants étant abattus.
Les hommes sont regroupés dans des granges, des remises, des cours. Ils sont mitraillés. Les femmes et les enfants sont enfermés dans l’église qui prendra feu. Le massacre d’Oradour-sur-Glane aura fait 642 victimes, il aura choqué le monde entier.
Pour la vidéo, voir : http://www.lavoixdunord.fr/region/oradour-sur-glane-ce-soldat-allemand-m-a-sauve-la-ia0b0n1870710