Dans notre édition du 19 janvier, nous analysions les informations connues sur cet Allemand de 88 ans, Werner C., inculpé par la justice allemande pour le meurtre de 25 personnes le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane. Nous nous interrogions sur ses faits et gestes et nous nous inquiétions sur l’éventualité d’un procès de Bordeaux bis.
Nous avions émis l’hypothèse que cet homme avait fait partie du 5e groupe de la 2e section qui était commandé au moment des faits par le sergent Staeger, groupe qui a composé le peloton d’exécution du chai Denis et contribué à porter des combustibles dans l’église après la mort atroce des femmes et des enfants qui y étaient enfermés.
Depuis, Werner C. a fait connaître sa version des faits, mettant à mal nos suppositions. Selon lui, il se trouvait près des camions – ceux-ci stationnaient manifestement sur la route des Bordes, à l’extérieur du bourg, côté est – où il montait la garde. Soudain, une détonation s’est fait entendre dans l’église, immédiatement suivie des hurlements de femmes et d’enfants. Il précise également qu’il n’a tiré aucun coup de feu ce jour-là et qu’il a même renvoyé un garçon (ou deux femmes selon une autre source), lui sauvant ainsi la vie. Il ajoute que, de retour dans les camions, les soldats n’osaient pas se regarder ou se parler ; ce fait a également été souligné à l’époque du procès de Bordeaux par un incorporé de force alsacien, Fernand Giedinger, qui avait déclaré que, le soir même, en cantonnement à Nieul, personne n’osait parler à haute voix, malgré l’absence des gradés.
Bien sûr, on pourra toujours objecter que Werner C. utilise ici un argument classique pour sa défense : « ce n’est pas moi qui ait tiré, ce sont les autres ». On peut aussi remarquer que, s’il était de garde auprès des camions, il ne pouvait savoir que les Waffen-SS avaient enfermé les femmes et les enfants dans l’église et ne pouvait donc dire à ses supérieurs de leur laisser la vie sauve. Il exprime aussi des regrets : « Au nom de tous mes camarades, nous sommes terriblement désolés pour ce qu’il s’est passé ». Il s’étonne aussi : « Je ne comprends pas la justice allemande, en ce sens que, pendant des années, ils n’ont rien fait. Et maintenant, ils ont réussi à attraper le dernier idiot qui reste et qui n’aurait concrètement que pu exécuter des ordres. Maintenant, ils s’en prennent à lui. A eux de se justifier avec ça, moi, peu m’importe ».
Ainsi, si ses dires s’avèrent exacts, sa condamnation ne pourra, semble-t-il, que reposer sur la responsabilité collective. « Mit gefangen, mit gehangen » (« Pris ensemble, pendus ensemble ») disaient les nazis. En Alsace, on se souvient encore de la Sippenhaftgesetz qu’ils ont instaurée pour enrayer le nombre de réfractaires et de déserteurs alsaciens, mais aussi de la loi française, dite « loi Oradour », votée en 1948 pour permettre l’inculpation et la condamnation des incorporés de force lors du procès de 1953 : n’instaurait-elle pas dans le Droit français la notion de rétroactivité et de responsabilité collective ?
De son côté, Robert Hébras, estime, après avoir pris connaissance de la déclaration de Werner C., qu’il « n’y a pas d’innocents, il n’y a que des victimes » – ce qui nous porte à croire que les incorporés de force sont inclus dans son jugement -, ajoutant que les propos tenus par l’ancien Waffen-SS étaient « presque » du révisionnisme lorsque ce dernier dit : « Je suis à la disposition de la justice. Et si je suis innocenté, je considérerai que ça blanchit aussi mes camarades entraînés là-dedans ».
Assisterons-nous à un nouveau « procès de Bordeaux » ?
Nicolas Mengus
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La route des Bordes en août 2013, peu avant l’entrée d’Oradour-sur-Glane. Photo N. Mengus.