La justice allemande accuse un ancien Waffen-SS d’avoir participé au massacre d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. En France, on se souvient amèrement du fameux procès de Bordeaux qui renvoya dos à dos le Limousin et l’Alsace sans avoir véritablement rendu la justice. Tous les condamnés furent libérés rapidement après le verdict. Le Tribunal militaire de Bordeaux ne devait donc pas être si sûr de son jugement. Aujourd’hui, près de 70 ans après les faits, l’Allemagne veut à son tour rendre justice dans le cadre de cette épouvantable tragédie. Avec la perspective d’un nouveau procès… de Bordeaux ?
A en croire les différents articles parus dans la presse et compte rendus des médias audiovisuels, l’inculpé – appelé Werner C. -, qui avait 19 ans au moment des faits (il était donc mineur), est accusé d’avoir personnellement tué 25 personnes et d’être complice du meurtre de centaines d’autres à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944. Si il a admis être présent au moment des faits, il a pourtant nié avoir participé activement au massacre.
Autant que l’on sache, l’homme était, à l’époque, servant de mitrailleuse légère MG42, apparemment tireur. Il n’aurait donc aucun grade : d’après nos recherches, un servant de mitrailleuse de la 3e compagnie du régiment « Der Führer » était alors simple soldat (Grenadier), au mieux caporal (Sturmmann), y compris pour la section de mitrailleuses lourdes (MG42 sur trépied).
Pour avoir tué un si grand nombre de civils, il a fait manifestement partie d’un peloton d’exécution dans une grange qui est aussi décrite par certains comme étant une « cave à vin ». Il pourrait donc s’agir du chai Denis, où, effectivement, 25 hommes environ furent exécutés.
L’entrée du chai Denis, au croisement de la rue Principale et la route de Saint-Junien (l’actuel accès depuis le Centre de la Mémoire). (Photo N. Mengus 2005).
Après avoir participé à cette exécution sur ordre d’un supérieur, Werner C. se serait rendu à l’église d’Oradour dans laquelle les femmes et les enfants du bourg sont morts dans d’atroces circonstances. Là, il aurait assuré une garde à proximité du lieu saint et y aurait peut-être transporté du combustible.
Si notre identification de la grange avec le chai Denis était confirmée, un parallèle intéressant pourrait être fait avec la déposition de l’incorporé de force Auguste Lohner, datée du 22.11.1945. En effet, il y décrit notamment le peloton commandé par l’Uscha. (sergent) Staeger, chef du 5e groupe de la 2e section, qui exécuta les civils enfermés dans le chai Denis. Peut-on pour autant en déduire que Werner C. appartenait à ce groupe-là ? Lohner déclara aussi avoir ensuite reçu l’ordre de se « poster en face de l’église, en contrebas, sur la route, pour veiller à ce que personne ne s’échappe » ; il dit également avoir reçu l’ordre d’y transporter de la paille et du bois une fois la tuerie dans l’église achevée. Ces correspondances avec le récit que semble avoir fait Werner C. permettent de supposer que ce dernier pourrait avoir fait partie du même groupe que Lohner commandé par Staeger.
C’est sur cette route, au pied de l’église, que s’est tenu Lohner et sans doute tout le groupe Staeger dont Werner C. faisait peut-être partie. (Photo N. Mengus 2005)
L’octogénaire aurait donc été servant de mitrailleuse, donc simple soldat, voire caporal. Si il a tué 25 personnes, c’est au sein d’un peloton d’exécution dans une des granges, sur ordre d’un supérieur, et non sur une initiative individuelle qui pourrait dévoiler une intention criminelle. Il reviendra aussi à la justice allemande de déterminer si son comportement à Oradour a été dicté ou non par la contrainte de l’ordre reçu – « un ordre est un ordre » – dans le contexte d’une opération militaire contre un village français. Mais, au vu des informations qui nous sont connues, c’est à nouveau un sans-grade qu’on met sur le banc des accusés, comme en 1953.
Pourtant, d’après le journal allemand Bild, Werner C. nie avoir tiré un seul coup de feu à Oradour : „Ja, ich war dabei. Aber ich habe nicht einen Schuss abgeben. Ich war nicht in der Scheune. Ich stand als Posten an den Fahrzeugen“ (« Oui, j’étais présent. Mais je n’ai tiré aucun coup de feu. Je n’étais pas dans la grange. J’étais de garde auprès des camions ». Il ajoute : „Ich habe zwei Frauen das Leben gerettet. Als alle Dorfbewohner auf dem Marktplatz zusammengetrieben worden waren, kamen die Frauen aus dem Wald. Ich rief ihnen zu, sie sollen zurück in den Wald abhauen. Das taten sie auch“ (« J’ai sauvé la vie à deux femmes. Alors que tous les habitants du village avaient été rassemblés sur la place du marché, les femmes sont sorties de la forêt. Je leur ai crié de retourner dans le bois, ce qu’elles ont fait »). Ce genre de scène a affectivement eu lieu lors de la tragédie du 10 juin 1944, mais, quelle que soit la bonne version des faits, force est de constater que Werner C., ne semble pas avoir été plus « actif » que la plupart des accusés du procès d’Oradour. Et on se souvient que, pour des faits similaires, les 13 incorporés de force alsaciens, dont Lohner (qui avait pourtant déjà obtenu un non-lieu en 1948), furent immédiatement amnistiés. Quant à tous les autres condamnés, y compris les condamnés à mort, ils furent libérés ensuite (tout comme l’Ustuf. (sous-lieutenant) Heinz Barth condamné à la prison à vie, en RDA, en 1983 et libéré en 1997).
Si l’enquête allemande fait apparaître des faits nouveaux, peut-être seront-ils de nature à permettre la révision du procès de 1953 comme l’avait souhaité Me Richard Lux qui l’estimait « contraire au Droit et à la notion de Justice » ? Quant aux réactions sur le Net, elles sont partagées entre ceux qui souhaitent un jugement et une punition – comme Claude Milord, président de l’Association nationale des familles de martyrs d’Oradour-sur-Glane -, et ceux qui y voient plus une œuvre de vengeance qu’une volonté sincère de rendre la justice.
C’est en tout cas une affaire à suivre de très près par l’Alsace, continuellement montrée du doigt dans cette tragédie depuis le procès de 1953.
Nicolas Mengus