Visite des prési­dents français et alle­mand hier à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) Oradour: les Malgré-Nous alsa­ciens déçus par le discours du président alle­mand

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Les Malgré-Nous alsa­ciens et mosel­lans, incor­po­rés de force dans l’ar­mée nazie en 1942–45, se sont dits jeudi « déçus » que le président alle­mand Joachim Gauck n’ait pas profité de son dépla­ce­ment histo­rique à Oradour, mercredi, pour recon­naître le carac­tère crimi­nel de leur incor­po­ra­tion.

« C’est une honte! Il n’a eu pratique­ment aucun mot pour les Alsa­ciens, pas un mot de repen­tir. C’est comme si on était des Alle­mands! », a dit à l’AFP René Gall, 87 ans, le président délé­gué de l’As­so­cia­tion des évadés et incor­po­rés de force (ADEIF).

Treize Malgré-Nous, qui faisaient partie de la divi­sion SS Das Reich, furent condam­nés en 1953 par le tribu­nal mili­taire de Bordeaux pour leur parti­ci­pa­tion au massacre de 642 personnes à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) le 10 juin 1944. Ces Alsa­ciens furent ensuite amnis­tiés, mais la rancoeur à leur encontre est restée vivace à Oradour.

Mercredi, lors de son discours à Oradour au côté de son homo­logue français François Hollande, M. Gauck a briè­ve­ment évoqué la problé­ma­tique des Malgré-Nous, en se décla­rant « conscient du débat intense en France autour de la ques­tion de l’en­rô­le­ment forcé des Alsa­ciens qui ont parti­cipé au massacre ».

« Je suis un peu déçu, il aurait dû recon­naître que l’in­cor­po­ra­tion de force était un crime de guerre », a estimé Paul Ritzen­tha­ler, 85 ans, un autre ancien Malgré-Nous.

Pour Jean-Laurent Vonau, histo­rien spécia­liste de cette période, le président Gauck « a botté en touche » en évoquant le problème de l’in­cor­po­ra­tion de force comme « une affaire franco-française ». « Ceci ne manque pas de cynisme, il y a là un vrai problème », a-t-il réagi sur France 3 Alsace.
Certes, l’image histo­rique des deux chefs d’Etat à Oradour, main dans la main avec un survi­vant, consti­tue un symbole fort de récon­ci­lia­tion, a concédé l’his­to­rien. Mais c’est « une récon­ci­lia­tion qui laisse en Alsace un goût amer, car on a l’im­pres­sion que ça passe par-dessus nos têtes ».

[Oradour-sur-Glane Après la visite du président alle­mand. Des plaies demeurent->]

Si la présence et les paroles de Joachim Gauck, mercredi à Oradour-sur-Glane, ont sanc­tua­risé la récon­ci­lia­tion franco-alle­mande, elles n’ont pas apaisé les bles­sures des malgré-nous.

Au-delà de leurs réac­tions qui ne devaient pas fragi­li­ser la force symbo­lique des discours des prési­dents François Hollande et Joachim Gauck, les élus alsa­ciens présents à Oradour-sur-Glane ont compris que le travail de récon­ci­lia­tion entre le Limou­sin et l’Al­sace se pour­sui­vrait bien après cette jour­née histo­rique (DNA d’hier et du 1er septembre).

« Des défiances à dépas­ser »

Le président Gauck a évoqué « l’en­rô­le­ment forcé des Alsa­ciens qui ont parti­cipé au massacre » sans faire réfé­rence à la respon­sa­bi­lité alle­mande ni au crime de guerre de l’in­cor­po­ra­tion de force. Or, bon nombre d’Al­sa­ciens atten­daient de sa part une posi­tion plus tran­chée sur les malgré-nous.

« Peut-être n’était-ce ni l’en­droit ni le moment mais nous espé­rons encore », remarque Charles Butt­ner, président du conseil géné­ral du Haut-Rhin, « boule­versé par ce nouveau symbole qui montre qu’a­vec des mots, du cœur, des gestes, des acco­lades, des discours, le lien humain se renoue ».

L’his­to­rien Jean-Laurent Vonau est en revanche « déçu ». « Le président alle­mand ne peut pas rame­ner l’in­cor­po­ra­tion à une affaire franco-française », déplore-t-il en parlant de « cynisme ». « Hollande a eu les mots justes, Gauck a botté en touche. Je ne comprends pas pourquoi les auto­ri­tés alle­mandes n’ar­rivent pas à accep­ter ce crime », dit-il.

Pour Jean-Laurent Vonau, « le crime de guerre du massacre d’Ora­dour a été commis avec un autre crime de guerre : l’in­cor­po­ra­tion de force ». « Les Alle­mands ne le recon­naî­tront jamais. Tout le monde serait victime sauf l’Al­sace-Moselle. C’est invrai­sem­blable ! », fulmine l’his­to­rien, auteur du livre Le procès de Bordeaux, les Malgré-nous et le drame d’Ora­dour.

« C’est nul ! Notre président, ça a été ; mais le président alle­mand n’a pratique­ment pas dit un mot sur les malgré-nous. Il ne m’ins­pire pas confiance », a réagi René Gall, 87 ans, président délé­gué de l’As­so­cia­tion des évadés et incor­po­rés de force (ADEIF), qui se dit « écœuré ». Il ne digère pas non plus que ce soit ce même président de la Répu­blique alle­mand qui ait décoré de la Croix fédé­rale du Mérite, Robert Hébras, un des rares survi­vants du massacre d’Ora­dour.

« C’est vrai, certaines plaies restent ouvertes », observe Philippe Richert, le président de la Région Alsace. « Il reste des traces de suspi­cions et des défiances à dépas­ser », recon­naît Roland Ries, le maire de Stras­bourg. Et de rappe­ler qu’en 2000, deux des trois Silhouettes fragiles , ces statues offertes un an aupa­ra­vant par la Ville de Stras­bourg à la commune d’Ora­dour, ont été vanda­li­sées.

« Heureuse de la conti­nuité du dialogue entre la popu­la­tion et les élus », la séna­trice Fabienne Keller concède que « ce travail doit progres­ser » avec la « néces­sité d’ex­pliquer ».

« L’his­toire conti­nue »

Une dimen­sion péda­go­gique à laquelle ils tiennent tous et qu’ils déclinent en deux pans indis­so­ciables. « Je viens pour recon­naître le crime de guerre commis et expliquer pourquoi 13 malgré-nous étaient dans la divi­sion SS Das Reich », avait écrit Roland Ries au maire Raymond Frugier, avant sa visite en 1998 dans le village martyr de Haute-Vienne.

« L’his­toire conti­nue », relève René Gall en évoquant le procès que l’ADEIF a intenté contre l’ou­vrage de Robert Hébras dont une première édition nuançait l’in­cor­po­ra­tion de force.

Fils de malgré-nous, Roland Ries regrette ce procès fait à « un des rares mira­cu­lés d’Ora­dour ». « C’est dommage », répète le maire de Stras­bourg qui aspire à ce que « deux régions de France aient des rela­tions normales ». Il faudra encore du temps.

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