Edouard Wehrung est né le 12 juin 1919 à La Petite-Pierre (Bas-Rhin), alors que l’Alsace vient tout juste de redevenir française. Il suit sa scolarité à l’école communale puis un apprentissage de cordonnier, obtenant le Brevet de Compagnon. En 1937, il a l’opportunité de devenir facteur des Postes à Graufthal.
Le 25 avril 1939, alors que la menace d’une guerre prochaine pèse sur l’Europe, Eddy s’engage dans l’Armée Française. Il est affecté au 2ème Groupe d’Autos-Mitrailleuses et devient conducteur d’un engin blindé Panhard AM 178.
Eddy Wehrung, en haut à droite, engagé volontaire dans l’Armée Française en 1939.
Le 10 mai 1940 les Allemands envahissent la Belgique. L’unité à laquelle appartient Eddy est envoyée dans la région de Namur afin de ralentir la progression ennemie. Mais face à sept divisions blindées, elle reçoit l’ordre de se replier à Beaumont sur Argonne près de Sedan. Malgré le déséquilibre des forces, l’avancée allemande est freinée durant plusieurs jours ; le village de Stonne est perdu, repris et reperdu à plusieurs reprises, changeant 17 fois de main ! Le 15 mai 1940, après de violents combats, les Panzers allemands en surnombre parviennent à contourner les positions françaises ; l’unité d’Eddy est attaquée simultanément de front et par l’arrière. Le 16 mai 1940, Édouard Wehrung et ses compagnons rescapés sont faits prisonniers par les Allemands.
C’est la débâcle de l’Armée Française. L’armistice est signé le 22 juin 1940.
Le 2 août 1940, l’Allemagne annexe l’Alsace et la Moselle qui deviennent des provinces allemandes. Eddy est alors toujours un soldat français prisonnier des Allemands. Mais le 25 août 1940 il est libéré grâce à son statut d’Alsacien-Lorrain… et par conséquent de ressortissant allemand !!!
Le 23 janvier 1941, étroitement surveillé en raison de son engagement initial dans l’Armée Française, Eddy est affecté au Postamt d’Appenweier, Mannheim et Strassburg.
Le 25 août 1942, l’incorporation des jeunes Alsaciens dans l’armée allemande est promulguée. Elle est incontournable et réalisée sous la contrainte.
Le 19 septembre 1942, sa maman, Hélène Wehrung, décède.
Le 19 avril 1943, sous la menace pesant sur sa famille, il doit se rendre à Saverne où il est incorporé contre sa volonté dans la Wehrmacht.
Le 18 mai 1943, Eddy doit rejoindre le 2. Radfahrer Schwadron du Füsilier Bataillon 69 -un escadron de reconnaissance cycliste- stationné en Pologne.
Le 08 septembre 1943 il est dirigé sur le front russe dans la région de Tcherniakhovsk au nord de la Lituanie.
Là-bas, une rumeur insistante parcourt les rangs alsaciens : en s’évadant vers la Russie, il serait possible de rejoindre les Forces Françaises Libres en Angleterre. Eddy envisage immédiatement cette solution. Mais l’opportunité tarde à se présenter… Il doit rester sur la ligne de front au combat perpétuel avec les troupes russes durant plus de 10 mois.
Eddy Wehrung au deuxième rang au milieu sur la photo ci-dessus.
Le 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie ; la Libération est en marche.
Le 28 juillet 1944, alors que la Wehrmacht bat en retraite sur le front russe, Eddy reste terré dans une tranchée selon un plan établi à l’avance avec un compagnon d’arme, Fred Fritz de Benfeld. Tous deux attendent « le Russe » sensé être l’allié des Français.
Le 29 juillet 1944, ils sont portés disparus par la Wehrmacht.
Lorsque l’Armée Rouge parvient jusqu’à eux, Eddy et Fred sortent de leur cachette, les bras en l’air et criant « Frantzouski, Frantzouski ». Mais les Russes ignorent tout de l’Alsace et des conditions des Alsaciens. Pour eux, ce sont des soldats allemands puisqu’ils en portent l’uniforme.
Eddy est fait prisonnier par les Russes et enfermé à Vilna (Vilnius) Puis, après plusieurs jours de marche il est embarqué dans un train de marchandises et transféré dans un camp à Tambov avec des milliers d’autres Alsaciens et Mosellans.
Le 21 novembre 1944, La Petite-Pierre est libérée…
Mais Eddy croupit toujours dans les baraquements sinistres et insalubres du camp de Tambov. L’hiver particulièrement rude, la maladie, la malnutrition, la maltraitance et la détresse morale achèvent de décimer les rangs de ceux qui ne sont pas morts au combat.
Le 8 mai 1945, l’Armistice est signé ; la guerre est terminée.
Pourtant, ce n’est que le 19 octobre 1945 qu’Édouard Wehrung est libéré de Tambov. Malade, terriblement affaibli par des mois de détention, il est débarqué à Paris le 25 octobre 1945. Il lui faudra plusieurs jours encore avant de pouvoir enfin rejoindre son village natal de La Petite-Pierre. Des milliers d’autres n’auront hélas pas sa chance…
Il portera très longtemps les séquelles physiques et morales, et n’évoquera qu’à contre-coeur sa terrible histoire… qui est aussi l’histoire de milliers d’Alsaciens-Mosellans forcés à combattre pour une cause qui n’était pas la leur.
De nombreuses années plus tard, en 2000, alors qu’une maladie sournoise le prive désormais de discernement et de tout repère social ou temporel, il nous dit ce qui restera l’une de ses toutes dernières phrases :
« Nìe blie Ich bi de Schwowe. Ich geh zerìk zù de Frànzose... » (« Jamais je ne resterai chez les Allemands. Je retournerai chez les Français… ».
Texte établi par Jean-Jacques Wehrung