Je fais des recherches sur le parcours d’incorporé de force de mon grand-père Victor Weyland (1924–2002).
RECIT DE L’EVASION de Joseph WEYLAND, né le 28 octobre1921, à KERBACH (Moselle).
L’Armée allemande, après quatre ans de guerre, a estimé ses effectifs insuffisants pour se battre simultanément sur deux fronts, à l’Est et à l’Ouest.
Les Allemands ont décidé de mobiliser dix classes en Alsace et en Moselle, de 1914 à 1924.
Né en 1921, j’étais donc touché par cette décision d’incorporation et j’ai reçu un ordre d’appel à la fin du mois de septembre 1943 pour me présenter à Sarreguemines.
Avec, Rémy Meyer, un ami du village voisin qui se trouvait dans la même situation que moi, nous avons décidé de nous évader deux jours avant la date de notre convocation.
J’avais un cousin , Philippe, fermier qui habitait à Foulgres, à la frontière de la Meurthe et Moselle.
Avec Rémy, nous sommes allés chez lui quelques jours afin de préparer notre évasion. Philippe suivait les relèves des douaniers allemands et se renseignait pour trouver la possibilité de nous faire passer la frontière. Il simulait une sortie avec son chariot pour se rendre dans ses champs;
nous étions allongés dans le chariot et recouverts de serpillères avec une planche de chaque coté.
Arrivés à la frontière, il nous a indiqué la route à suivre. Le clocher de Bannoncourt, qui était en vue, nous servait de repère.
Pendant le trajet nous avons aperçu deux gendarmes français qui circulaient à vélo; n’ayant aucun papier d’identité, nous nous sommes cachés derrière une haie qui bordait la route.
Plus loin, nous avons rencontré un cultivateur qui rentrait des champs; nous lui avons demandé s’il voulait bien nous emmener jusqu’à Bannoncourt. Arrivés dans le village que nous découvrions pour la première fois, il nous a déposé devant la maison de Paul Flaus, un cousin de ma mère.
Le père de Paul s’était aussi évadé en 1870 de Kerbach afin de ne pas se faire enroler dans l’armée allemande.
Le cousin très inquiet de voir débarquer deux réfractaires chez lui, nous a fait coucher par précaution dans un hangar près de sa maison.
Le lendemain matin, il nous a accompagné à pieds à Arracourt où nous avons pris un bus pour Nancy. Nous devions nous rendre chez son ami, monsieur Paul Michel, ingénieur des Eaux et Forêts; il supervisait le chantier forestier de Bezange-la Petite qui se situait à cheval sur la frontière.
Pendant le trajet Arracourt-Nancy, notre bus a été arrêté par deux Feldgendarm (gendarmes allemands); nous avons eu très peur; je me souviens des paroles adressées au chauffeur « alles in Ordum ». Le béret que j’avais sur la tête s’est soulevé de peur et Ouf! le car est reparti; nous avons échappé de justesse à un contrôle.
Arrivés à Nancy, nous nous sommes rendus au 35 de la rue Stanislas, chez Mr Paul Michel qui nous a placé dans le chantier forestier jusqu’à Noel 1943. Mr Michel nous a établi des faux papiers avec carte d’alimentation. Mon nom était désormais Souara Lucien et, celui de Rémy, Pierson René.
Nous faisions des stères de bois dans la forêt domaniale; nous mangions sur place; les collègues étaient tous des réfractaires, soit des STO (service obligatoire du travail), ou comme nous, des insoumis de l’armée.
La nourriture était acceptable mais ce qui nous manquait le plus était le pain rationné à 200 gr.
Heureusement que nous avons pu nous procurer du lait chez les cultivateurs. Le travail était faisable, mais nous avons énormément souffert de gerçures aux mains à cause du froid.
Le chantier forestier était très surveillé par la Gestapo et le chef avait souvent des visites pour lui demander s’il n’y avait pas de réfractaires parmi les effectifs. Un jour, il nous a convoqués et nous a invités à quitter le chantier par précaution.
Mr Paul Michel a été arrêté par la Gestapo et déporté à Dachau d’où il est revenu , comme un squelette, en 1945.
Anciens réfugiés de la Moselle en Charente où nous avons tous les deux des attaches, lui un cousin qui avait une ferme et moi un frère dont les beaux parents avaient également une ferme. Nous sommes partis, la veille de Noël 1943, de Nancy à destination de Cognac, munis de nouveaux faux papiers en règle avec un congé pour les fêtes. Durant le trajet, nous avons vu des policiers allemands, mais nous n’avons pas été contrôlés. Après notre arrivée à Cognac, nous avons rejoint les fermes respectives où nous avons mené une vie de réfractaires durant l’occupation jusqu’au 30 septembre 1944.
Mon frère était dans le maquis de Saint André; il a été mortellement bléssé à la libération de Cognac. Quant à mon ami Rémy, il est entré à l’Ecole Interarmes de Coëtquidan et en est sorti avec le grade de Sous Lieutement; volontaire pour servir en Indochine, il a été tué en 1952 à Tonqué au Laos.
Moi, je suis entré dans l’Armée de l’Air où j’ai fait carrière; j’ai quitté l’armée pour prendre ma retraite en 1969 avec le grade d’adjudant chef.
Nous avons retrouvé notre Patrie qui nous a tant manqué et que nous avons choisi de servir.
J’ai pu retrouver ma famille en 1945 après la libération.
Je suis titulaire de :
-la médaille des évadés de guerre
-la médaille militaire
-l’Ordre National du mérite
-la médaille des combattants volontaires
-la médaille des combattants
-la médaille du volontariat
-la médaille d’engagé volontaire
-la médaille reconnaissance de la Nation avec agraffes Maroc-Algérie
J’ai été adhérent à l’Union Nationale des Evadés de Guerre de la Charente de 1968 jusqu’à sa dissolution en novembre 2005.
Document réalisé par Joseph WEYLAND en décembre 2005 et transmis au Musée de la Résistance à ANGOULEME.
Article paru dans « Sud-Ouest » :