1998 – 2015 : « Bien­ve­nue au club »

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Il y a 17 ans, « Char­lie Hebdo » faisait polé­mique en Alsace. Sous le titre « Défi­cit de commu­ni­ca­tion chez les langues régio­nales », un dessin de Riss avait pour fond le village d’Ora­dour-sur-Glane, théâtre le 10 juin 1944 du massacre de 642 personnes perpé­tré par la divi­sion Waffen SS « Das Reich ». 14 Alsa­ciens sur 150 soldats (un engagé volon­taire et 13 « Malgré-Nous ») furent jugés et condam­nés à Bordeaux en 1953, malgré l’ab­sence, au tribu­nal, des prin­ci­paux comman­di­tai­res…

Cher « Char­lie Hebdo »,

Tu es mon canard préféré quand tes couver­tures me parlent, tu es aussi le papier peint dans mon bureau, bref je vis avec toi ou tu vis chez moi, c’est comme tu veux. Cela étant il faut que je revienne sur ta cari­ca­ture, concer­nant les langues régio­nales parue en 1998.

Tu me compren­dras, je suis l’or­phe­lin d’un père alsa­cien, un Malgré-Nous.

A l’époque, comme lecteur, j’avais avalé la couleuvre, une de plus géné­rée par l’ab­sence d’en­sei­gne­ment dans les programmes d’his­toire de notre Educa­tion Natio­nale, celle qui occulte les drames que notre région a subis depuis 1871.

Mais, aujourd’­hui, je peux te dire « Bien­ve­nue au club », la menace mortelle d’une arme était chez vous une vague incon­nue, jusqu’a ce fameux 7 janvier 2015 . . . Or c’est préci­sé­ment le sort de nos pères, de nos cousins, de nos frères, que vous avez vécu ces jours-ci. Quand vous aviez décidé, en 1998, de vous défou­ler sur les provinces de France et leurs langues régio­nales, des sujets tout cuits du cochon pour les Bretons, du taureau pour les Basques, ce n’était pas origi­nal, mais on a bien ri quand même. Et pour les Alsa­ciens vous auriez pu choi­sir une cigogne ? Non ce fut insi­dieu­se­ment Oradour-sur-Glane, en glis­sant au passage une héré­sie dans la légende (la « Das Reich  » aurait été consti­tuée majo­ri­tai­re­ment d’Al­sa­ciens…). Ce fut pour nous un coup de couteau dans le dos, un de trop.

Aujourd’­hui “Bien­ve­nue au club” donc, depuis que les isla­mistes ont contraints la pauvre Corinne, une arme auto­ma­tique dans le dos, d’ou­vrir la porte de vos locaux moyen­nant le code qui leur faisait défaut. La dessi­na­trice s’est execu­tée de peur d’être exécu­tée sur le champ…. J’eusse préféré que ce choix diabo­lique fût tombé sur Riss, il eût pu jouer au héros, lui qui par igno­rance avait, en 1998, si igno­mi­neu­se­ment dépeint nos Alsa­ciens avec des tronches pati­bu­laires affu­blées d’un groin.

Je n’ai envie ni de juger, ni de condam­ner les cari­ca­tures, juste de vous rappe­ler quelles furent les consé­quences de l’in­cor­po­ra­tion de force dans les troupes nazies de 140 000 Alsa­ciens-Mosel­lans. Une salo­pe­rie rendue possible par le gouver­ne­ment de Vichy. Jamais assumé, jamais ensei­gné, l’aban­don de notre province aux griffes des Boches qui fit des popua­tions alsa­ciennes et mosel­lanes autant d’otages livrés aux fauves.

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Un peu d’his­toire vous aidera à comprendre mon cour­roux. Hein­rich Himm­ler et son ami le Gaulei­ter Robert Wagner, repré­sen­tant de Hitler en Alsace, avaient conclu un marché pour regar­nir la divi­sion « Das Reich », déci­mée en 1943 sur le front de l’Est en URSS et en Ukraine. Il fallait convaincre Hitler d’in­cor­po­rer de force, des Alsa­ciens dans une unité de Waffen SS. Adolf, en dépit des objec­tions du maré­chal Keitel, s’étant rangé du côté de Himm­ler, allait obli­ger la moitié de la classe 1926, soit envi­ron 2500 gamins, à rejoindre sous la contrainte, les régi­ments Waffen SS. La divi­sion « Das Reich », mise au repos à Montau­ban, reçut ainsi des garçons d’à peine dix-huit ans, donc mineurs au prin­temps 1944. Vite instruits au manie­ment des armes, les voilà jetés dans la guerre. Pour certains ce fut Tulle, pour d’autres la remon­tée vers les plages du Débarque­ment. Etaient-ils déjà des merce­naires sangui­naires le 10 juin 1944, je vous le demande? Ils n’avaient jamais connu le front et très peu eurent l’oc­ca­sion de déser­ter vers le maquis du Limou­sin rouge. Ils ont déserté massi­ve­ment en Norman­die, grâce à l’aide et au courage du peuple normand.

Pourquoi s’étaient-ils lais­sés incor­po­rer de force?

Contrai­re­ment aux zones occu­pées de la France, l’Al­sace et la Moselle furent pure­ment et simple­ment ANNEXEES, ce qui veut dire contraintes illé­ga­le­ment aux lois alle­mandes, notam­ment la Sippen­haft qui exerçait sur la famille de terribles repré­sailles. En cas de refus à l’In­cor­po­ra­tion de force d’un Alsa­cien ou d’un Mosel­lan, de déser­tion avérée, d’éva­sion ou de déso­béis­sance aux ordres, les tribu­naux d’ex­cep­tion nazis les ont jugés, condam­nés et exécu­tés. Leurs familles furent trans­fé­rées en Silé­sie dans les quarante-huit heures, voire dépor­tées vers les camps d’in­ter­ne­ment SS de Schir­meck, du Stru­thof/Natz­wei­ler ou de Ravens­bruck. A cette double peine barbare s’ajou­tait la spolia­tions de leurs biens. Fermes, commerces ou maisons furent pure­ment et simple­ment volées par les nazis et vite réoc­cu­pées par des popu­la­tions trans­fé­rées. Le dépla­ce­ment des peuples étant une arme bien connue des dicta­teurs: Staline fit crever de faim des millions de gens par cette méthode.

Je vous le demande, quel pére ou quel fils pouvait aban­don­ner sa femme, ses enfants, sa maman, sa grand-mère sa petite sœur aux griffes des nazis ?

Ces Incor­po­rés de force sont partis, aban­don­nés, révol­tés, la tête basse, pour nous lais­ser vivre, pour nous proté­ger ou nous donner la Vie une deuxième fois, comme ce fut mon cas.

Jamais je ne pourai accep­ter que l’on puisse les traî­ner dans la boue.

Je n’avais pas pardonné la cari­ca­ture de Riss en 1998, mais je vous accorde mon pardon à présent. Main­te­nant que vous faites partie du club des hébé­tés, des sans voix, des meur­tris à jamais. Je vous serre dans mes bras comme mes frères et soeurs et vous engage de retrou­ver la force de combattre l’igno­rance et la bêtise.

Gérard MICHEL

Président de l’As­so­cia­tion des Orphe­lins de Pères Malgré-Nous d’Al­sace-Moselle

 gege.michel@­wa­na­doo.fr

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