Diffusé sur France 3 le 2 mars dernier, le documentaire de Michaël Prazan, « Une division SS en France, Das Reich », a suscité de nombreuses réactions négatives, tant dans la presse écrite que sur le Net. Et il n’y a pas qu’en Alsace ou en France que ce documentaire n’a pas été apprécié. Il convient de se demander pour quelle raison ce travail n’a pas fait l’unanimité.
La première surprise est – dans le cadre géographique (la France) et chronologique (les années 1944–1945) fixé par le réalisateur – la très longue exposition des crimes commis par les Einsatzgruppen (qui avaient déjà fait l’objet d’un précédent documentaire) sur le front de l’Est avant l’anéantissement de la 2e division blindée Waffen-SS « Das Reich » sur ce même théâtre d’opérations. En effet, réduite à une Kampfgruppe (groupe de combat), seule une minorité des éléments, qui vont composer cette division une fois reconstituée dans le Sud-Ouest de la France, ont pu y être mêlés. Ce n’est pas le cas des près de 9000 nouvelles recrues qui vont être enrôlées, au début de l’année 1944. Et, quitte à rappeler le parcours de la « Das Reich » avant 44, pourquoi ne pas revenir sur son parcours en France en 1940 ?
Cela étant, revenons à ces nouvelles recrues du début de l’année 1944, car c’est principalement là où le documentaire pèche. L’accent y est mis sur les Alsaciens qui, il est vrai, ont souvent été présentés comme les principaux assassins d’Oradour-sur-Glane depuis le procès de Bordeaux en 1953.
Les Alsaciens étaient effectivement nombreux dans la « Das Reich ». Ils étaient environ 800 (nous y reviendrons). Mais pourquoi y en avait-il autant, alors que, à peine quatre ans auparavant, ils étaient encore français ? Ce n’est pas dit dans le documentaire. L’Annexion de l’Alsace-Moselle au IIIe Reich, en 1940, est tout juste mentionnée, mais elle n’est pas expliquée. Or, c’est bien à cause de cette annexion illégale qu’il y a eu des « Malgré-Nous ». On ne peut pas comprendre la présence d’Alsaciens ou de Mosellans dans l’armée allemande sans expliciter la situation particulière de ces deux provinces françaises. C’est là un des grands manques de ce documentaire.
Dans la « Das Reich », se sont essentiellement des jeunes de la classe 1926 qui y ont été enrôlés, à l’âge de 17 ans. Il aurait été intéressant pour le téléspectateur et judicieux pour le réalisateur d’expliquer pourquoi cette classe d’âge a été versée d’office dans la Waffen-SS. Ce n’est ni le fruit du hasard, ni la conséquence d’un volontariat de masse. Et le seul témoignage d’Elimar Schneider – un authentique « Malgré-Nous » en dépit de certaines de ses prises de position – ne suffit pas à le faire comprendre.
Enfin, pourquoi affirmer que les Alsaciens forment le gros des effectifs de la « Das Reich » ? C’est une erreur grossière qui n’a plus cours depuis longtemps, sauf chez certains auteurs ignorants ou malintentionnés. La classe 26 représentait 4000 jeunes hommes environ. La moitié a été « offerte » par le Gauleiter Robert Wagner au Reichsführer Heinrich Himmler et à la Waffen-SS. De ces 2000 recrues (forcées – ce n’est pas assez souligné dans le documentaire), 800 ont été versées dans la « Das Reich », encore que, jugés trop nombreux, une partie a été mutée dans la division « Frundsberg ». Répartis dans les différentes compagnies, ils représentent une quarantaine d’hommes sur un effectif d’environ 130 à 150 soldats. Quant à la fameuse 3e compagnie, qui était à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944, elle comptait une trentaine d’Alsaciens, dont un seul engagé volontaire. On le voit bien, si les Alsaciens sont nombreux, ils ne constituent en aucun cas le gros de la troupe.
Il aurait donc également été utile de s’intéresser aux autres recrues non allemandes qui venaient d’une douzaine de pays européens. S’intéresser à la composition humaine de la « Das Reich » aurait donné à ce documentaire un caractère novateur qu’il n’a malheureusement pas.
Nous pourrions encore longuement énumérer les défauts de ce documentaire, mais le principal est qu’à l’issue de son visionnage, le téléspectateur retient, avant tout, que les Alsaciens – engagés volontaires ou incorporés de force – se sont ralliés au national-socialisme et, en conséquence, que ce sont des assassins ayant communié dans le crime au sein de la Waffen-SS. Cette vision de l’Histoire est tout bonnement inacceptable.
Nicolas Mengus
Réaction de la SNIFAM reçue sur la messagerie du site:
Ce film est affligeant et humiliant tant pour les Alsaciens-Mosellans que pour les Normands qui les aidèrent. En effet les incorporés de force présents en Normandie pendant les combats de 1944 ont eu des comportements patriotiques exemplaires. Nous leur devons beaucoup.
En dépit des risques énormes qu’ils encouraient, ils se sont évadés à près de 200 de la « Das Reich » notamment pour rejoindre les FFI, la 2eme DB et la 1ere Armée notamment.
Ici en Normandie, les gens qui savent les considèrent, à juste raison, comme ayant participé à notre libération.
Voilà pourquoi, nous leur sommes très reconnaissants. Pour cette raison, nous avons donné naissance à une association : SNIFAM (Solidarité Normande aux Incorporés de Force d’Alsace-Moselle) et cela principalement par amour de la justice. C’est une ignonimie de faire croire que tous les Alsaciens-Mosellans étaient nazis alors qu’ils avaient organisé, avec la Résistance Normande, une filière de désertion dans la Waffen SS passant dans la Sarthe, à La Chapelle d’Aligné notamment.
Les Normandes et Normands ne peuvent que condamner ce film ! N’est-il pas une injure à l’Histoire en général, à toute la population d’Alsace-Moselle en particulier et aussi aux Normands ?
Tout laisse à penser que la falsification de cette page de notre Histoire Nationale, a été commise de propos délibéré. Le producteur s’honorerait en reprenant ce film pour y inclure d’authentiques faits ayant eu lieu en Normandie.
Oui, un film d’une rigueur historique pourrait rétablir la reconnaissance dûe aux incorporés de force et à leurs familles.
Nous avons beaucoup à raconter et à faire savoir.
Pour la SNIFAM, Jean Bézard
Le nombre d’Alsaciens dans la « Das Reich«
A propos des effectifs alsaciens dans la « Das Reich« , voici un passage du témoignage de Raymond Ditchen, incorporé de force dans cette division, après avoir été interné par les nazis au camp de Schirmeck et avant de déserter pour rejoindre la Résistance : « Je profite de cette question pour faire une observation quant au pourcentage d’Alsaciens dans la division blindée « Das Reich » et, en particulier, dans ma compagnie où nous étions 15 Alsaciens incorporés de force (il n’y avait pas de Lorrains). Sur un effectif de 122 hommes, les Malgré-Nous représentaient un pourcentage de 12,30%, ce qui est faible par rapport aux chiffres donnés par certains « historiens ». Pensez qu’il y en a qui vont jusqu’à prétendre qu’il n’y avait que des Alsaciens dans cette division !!! » (Entre deux fronts, t.2, 2008, p.75).