« Au reportage (…), il manquait deux choses : la rigueur et le recul ». Cette introduction d’une lettre ouverte de l’historienne Marie-Laure de Cazotte et publiée sur un site consacré à l’incorporation de force (*) donne le ton du courrier à charge contre ce documentaire signé Michaël Prazan et vu par 2,6 millions de téléspectateurs.
Elle regrette les « approximations » voire « les erreurs » contenues dans ce reportage qu’elle qualifie de « drame moral et scientifique ». Sur le fond, elle déplore le contresens majeur de ce travail : « M. Prazan affirme que les Alsaciens étaient majoritaires dans la division Das Reich. C’est du vandalisme à l’échelle de 130 000 mémoires ! »
Au début du reportage, qui chronique les exactions de la division Das Reich de juin 1944 à mai 1945 (les massacres de Tulle et Oradour notamment), le réalisateur indique en effet que « le gros des troupes est composé d’Alsaciens ». Plus tard dans le documentaire, il enfonce le clou : « En 1944, ce ne sont pas moins de 6 000 Alsaciens qui ont été enrôlés dans la division Das Reich ».
Des chiffres largement surestimés, note l’historien Nicolas Mengus. « Sur les 4 000 Alsaciens de la classe 26, 2 000 ont été intégrés dans la Waffen SS dont 800 au sein de la division Das Reich », souligne-t-il. « Dans les faits, la présence des incorporés des régions annexées, qu’ils soient Alsaciens, Mosellans ou Luxembourgeois, était soumise à un quota défini par le maréchal Keitel, commandant suprême des forces allemandes », écrit Mme de Cazotte. « Le 19 mars 1943, il a donné pour instruction aux officiers de limiter la présence des incorporés à 5 % pour les unités de combat. »
« C’est du vandalisme à l’échelle de 130 000 mémoires ! »
Michaël Prazan a, par ailleurs, exploité le témoignage d’un incorporé, Elimar Schneider, aujourd’hui décédé, sorte de fil conducteur du reportage. Un choix critiqué par les deux historiens. « On peut regretter qu’il n’y ait pas eu de panachage avec d’autres incorporés dans la division Das Reich », pense Nicolas Mengus.
Le documentaire se termine par ces mots : « Convaincu d’avoir sauvé un homme de la pendaison, Schneider n’a pas été inculpé au procès de Tulle. Parce qu’il n’était pas présent à Oradour lors du massacre, son cas ne fut jamais jugé.
Pourtant, son engagement dans la SS n’était pas exempt d’ambiguïté. En 1982, il n’exprimait aucun regret : “Je ne suis pas d’accord lorsqu’on déclare toujours que les Waffen SS étaient des meurtriers. Il y a une question d’honneur qui joue là-dedans. Ce qui j’ai vu faire par la résistance rouge du Limousin ne m’incitait pas du tout à devenir déserteur. Je suis resté dans la troupe pour éviter de devenir un meurtrier” ».
Au final, estime Nicolas Mengus, « on peut avoir l’impression que la division Das Reich était une division d’Alsaciens et de criminels alsaciens ».
« En aucun cas, je n’ai voulu porter préjudice aux Alsaciens et je suis d’ailleurs surpris par l’ampleur des protestations », répond Michaël Prazan. Le réalisateur reconnaît les erreurs sur les chiffres. « Oui, ils sont trop importants et je vais tenter de reprendre ces passages avant la diffusion sur Arte, pour l’instant prévue le 21 avril. » Ce ne sera pas le cas pour la rediffusion sur France 3, le 28 mars en pleine nuit (3 h 30).
Le documentariste assume, par ailleurs, le choix d’Elimar Schneider comme témoin posthume de cette division SS, tout en ayant précisé qu’il n’était pas volontaire mais bien incorporé de force. « Il est devenu la mémoire française de la division Das Reich qu’il n’a eu de cesse de chercher à réhabiliter », écrit-il en réponse à la réaction de Mme de Cazotte (*).
Nicolas Roquejeoffre
(*) http://www.malgre-nous.eu
Une réaction reçue de Mme Angèle Miss sur la messagerie du site
Bonjour,
Très choquée par la diffusion du reportage sur la division Das Reich le 2 mars sur France 3, et suite à l’article paru dans les D.N.A. le 11 mars, je demande que les rediffusions soient annulées.
Trop d’erreurs sur les Alsaciens, sur les effectifs et surtout sur la totale absence d’explications sur l’incorporation de force… et sur le poids qui pesait sur nos parents et grands-parents en cas de désobéissance.
Par respect de nos parents qui se sont beaucoup battus pour leur liberté et pour redevenir Français, il est insultant pour eux de maintenir cette émission.
Comme Nicolas Mengus, « on peut avoir l’impression que la division Das Reich était une division d’Alsaciens et de criminels alsaciens », ceci est intolérable pour moi.
Je demande la suppression de cette rediffusion.
Angèle Miss
Une réaction reçue de M. André Schneider sur la messagerie du site
En voyant le document en objet diffusé sur France 3, j’ai noté les points litigieux ou discutables dont il est,pour l’essentiel, fait état dans l’article paru ce 10.03.2015 dans les D.N.A.
On peut s’étonner que, le réalisateur admettant ses grosses erreurs et approximations parmi un ensemble quand même très parlant, il soit envisagé de rediffuser le 28 mars la même version. Il me semble qu’une opposition à cette diffusion devrait apparaître.Sans verser dans une censure larvée, il serait peut-être aussi préférable que le réalisateur fasse visionner sa version corrigée avant sa diffusion…
Il serait temps de se sortir avec efficacité de l’esprit « soit-disant Malgré-nous » proprement affligeant.
Cordialement
André Schneider