DE L’ALSACE à LA NORMANDIE, DE NORMANDIE à L’ALSACE, un récit de Maurice STOTZ

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin

 

Des échanges – qui suivent nos contacts télé­pho­niques ou épis­to­laires avec des incor­po­rés de force – découle systé­ma­tique­ment une appro­fon­die connais­sance des drames des Alsa­ciens et Mosel­lans. En effet, les incor­po­rés de force s’ex­priment ouver­te­ment, lorsqu’un climat de confiance est établi.

Ils s’ex­priment d’au­tant plus aisé­ment, qu’ils ont beau­coup à dire. Cela est dû au fait, qu’en dehors de l’Al­sace et de la Moselle, ils n’ont été : ni enten­dus, ni écou­tés, mais reje­tés. C’est infi­ni­ment regret­table.

Pour­tant, et c’est un devoir de l’af­fir­mer: les incor­po­rés de force ont remporté une immense victoire sur le nazisme. Incor­po­rés, immer­gés dans cette idéo­lo­gie du crime, de la violence sous toutes ces formes, et sans limites, ils ont résisté. Ils ne sont pas deve­nus les monstres que l’on aurait aimé qu’ils fussent. Mieux encore, il paraî­trait que les outrages subis par eux, leur confé­rèrent : huma­nisme, courage et esprit de réus­site.

Autre­ment dit, ils réalisent tout le contraire de ce qui avait été espéré d’eux, par un condi­tion­ne­ment nourri d’hor­reurs.

La connais­sance, c’est à dire l’exa­men impar­tial des parcours, de chaque incor­poré de force, ne peut que susci­ter chez chacun de nous, un senti­ment de fierté, envers les compa­triotes Alsa­ciens ou Mosel­lans.
N’ont-ils pas su, chaque fois que cela était possible, se sous­traire par la déso­béis­sance, à la crimi­na­lité.

Sur le front de l’Ouest, nombreux sont ceux qui déser­tèrent dès qu’ils en eurent la possi­bi­lité. C’est à dire, dans les condi­tions suscep­tibles de ne pas entraî­ner des repré­sailles sur leurs familles et amis. Ce préam­bule, truisme sans origi­na­lité, n’a d’autre objet, que de démon­trer combien reste néfaste, par ses consé­quences, la poli­tique du silence voulue par nos gouver­nants depuis la fin de la guerre.

Cette poli­tique par omis­sion volon­taire, est une véri­table catas­trophe natio­nale. Elle tend à empê­cher l’har­mo­nie entre les provinces. De nos compa­triotes, en toute bonne foi, mais par une igno­rance diri­gée, sont deve­nus néga­teurs. Cela entre­tient un profond malaise, propre à nour­rir un déchi­re­ment, abso­lu­ment contraire à l’unité natio­nale et euro­péenne.

Nous connais­sons par les livres et les jour­naux, les récits de nombreux incor­po­rés de force. Tout n’a pas été publié. La preuve: voici la narra­tion du drame d’un incor­poré de force. Nous allons, en plus de son calvaire dans l’ar­mée nazie, faire partiel­le­ment état de ses apti­tudes profes­sion­nelles. Cela afin d’ex­pliquer le plus modes­te­ment possible, une réus­site sociale.

Ces quelques lignes ont un Normand pour auteur. Par le plus grand des hasards en 1944, des faits lui firent comprendre ce qu’é­tait l’in­cor­po­ra­tion de force. Il était alors enfant. Ce fut une bles­sure de l’es­prit. De ces bles­sures infan­tiles, qui jamais ne guérissent car les ans et la compré­hen­sion les rendent doulou­reuses. Le seul anti­dote qui vaille, est le témoi­gnage, ou l’ex­pres­sion de sympa­thie et de frater­nité à tous nos compa­triotes qui connurent l’es­cla­va­gisme.

En France de l’In­té­rieur, cet escla­va­gisme n’est pas ou peu connu. Il n’a pas été ensei­gné, ni par l’École, ni par la Presse. L’in­cor­po­ra­tion de force est un des drames les plus hideux du XXème siècle. Voilà pourquoi, il doit être porté à la connais­sance du plus grand nombre de nos conci­toyens.

Les contacts sont nombreux et aussi très enri­chis­sants entre la Norman­die et l’Al­sace. Des liens de soli­da­rité sont nés entre nos régions, il faut les culti­ver. En voici la preuve, je ne connais pas Monsieur Maurice STOTZ, il déserta de la Waffen SS en Norman­die. Par un heureux hasard, lors des céré­mo­nies du 70eme anni­ver­saire à Ober­nai, un ami, lui aussi incor­poré de force, a donné notre adresse : celle de l’As­so­cia­tion  » Soli­da­rité Normandes aux Incor­po­rés de Force Alsa­ciens-Mosel­lans » S.N.I.F.A.M. 6 Bd mari­time 14750 SAINT AUBIN SUR MER.

A la S.N.I.F.A.M., nous nous faisons un devoir de mettre en exergue ce que firent les Alsa­ciens et Mosel­lans sur tous les fronts, mais prin­ci­pa­le­ment lors de la bataille de Norman­die. Nous racon­tons égale­ment les aides appor­tées par des Normands, à ces « pauvres gamins » comme il était dit d’eux, parfois.

Si nous avons connais­sance des prin­ci­paux faits qui entourent la vie de Maurice STOTZ, alors qu’il était dans l’ar­mée nazie, nous avons égale­ment eu connais­sance de sa réus­site profes­sion­nelle et de son atta­che­ment à sa profes­sion. Il se consa­cra à la jeunesse qui se desti­nait et se destine encore aux métiers de l’au­to­mo­bile. Maurice STOTZ à très tôt compris tout l’in­té­rêt pouvant être retiré, d’une forma­tion profes­sion­nelle sérieuse, parce que, enca­drée et program­mée. Par le partage, il a donc fait valoir ses connais­sances pour le plus grand bien de la forma­tion profes­sion­nelle et de là, pour les béné­fi­ciaires de cette forma­tion.

Il ne doit pas être diffi­cile de faire dire à Maurice STOTZ, que la richesse d’un pays, est toujours dans la qualité de sa forma­tion profes­sion­nelle.

Pour cette raison, et après avoir person­nel­le­ment estimé le temps qu’il a dû consa­crer à l’in­té­rêt géné­ral -avant de lais­ser la plume à Maurice STOTZ –je rapporte ce qui est un véri­table état de services : lisez plutôt:

– Maître Méca­ni­cien Auto, établi à son compte le 1er octobre 1951.

 Brevet de Compa­gnon le 22 juillet 1943.

 Brevet de Maîtrise le 19 juin 1953.

 Membre titu­laire de la Section de MULHOUSE, de la Chambre des Métiers d’Al­sace de 1977 à 1983

 Membre du Bureau de l’Union des Corpo­ra­tions Arti­sa­nales de 1978 à 1987.

 Membre du Comité Direc­teur de la Corpo­ra­tion Profes­sion­nelle de 1970 à 1976.

 Président délé­gué des métiers et agents de 1976 à 1986

 Vice –Pré­sident des agents et arti­sans en 1975.

 Asses­seur-Maître Suppléant de la Commis­sion d’Exa­men du brevet de Maîtrise dans le métier de Méca­ni­cien Auto de 1958 à 1972

 Asses­seur-Maître de la Commis­sion d’Exa­men du Brevet de Maîtrise dans le métier de Méca­ni­cien Diésé­liste de 1980à1987.asses­seur-Maître de la Commis­sion d’Exa­men du Brevet de Compa­gnon dans le métier de Méca­ni­cien-Auto de 1973 à 1978

 Asses­seur-Maître de la Commis­sion d’exa­men du Brevet de Compa­gnon dans le métier de Méca­ni­cien –Dié­sé­liste de 1976 à1978.

 Président de la Commis­sion du Brevet de Compa­gnon dans le métier de Méca­ni­cien Auto et celui de Méca­ni­cien Diésé­liste depuis 1979

 Distinc­tions obte­nues: Médaille de Bronze de la Recon­nais­sance Arti­sa­nale en 1982

 Médaille d’Argent de la CSNCRA en 1989

 Médaille d’Hon­neur en or CHAMBRE DE MÉTIERS D’ALSACE en 1989

 Palmes Acadé­miques en 1991

 Trophée de l’Au­to­mo­bile en 1992

 .Médaille en or de l’Union des Corpo­ra­tions Arti­sa­nales le 4 juin 2004

Maurice Joseph STOTZ naquit le 13 mars 1926 à 22h 30 à Mulhouse, 34 rue du Brochet. Il est le fils de Joseph, né le 14 mars 1899 et de Thérèse KEMPS épouse STOTZ ‘ née le14/10/1898. Joseph était maçon,
Maurice avait un frère.

Lais­sons Maurice nous racon­ter à grands traits sa scola­rité, et une adoles­cence que jamais hélas, il ne vécut plei­ne­ment.

 » J’ai été scola­risé à l’École NESSEL, dans la 1ère et 2ème classe. En cette période, comme il n’y avait pas de 3ème classe, faute de profes­seur, les dix premiers furent mis en classe de 4ème. Cette année scolaire fut très dure. Mais tous, nous avons réussi, et de ce fait, j’ai obtenu le Certi­fi­cat d’Études Primaires à 12 ans.

Dans cette école, la 6ème classe était la dernière du cycle. Pour cette raison, je fus muté à l’École Centrale de MULHOUSE en 7ème, pendant 2 ans. C’était la dernière classe. Pour cette raison, une déro­ga­tion m’a été néces­saire pour que je puisse commen­cer l’ap­pren­tis­sage de méca­ni­cien auto­mo­bile en mars 1939. C’était au garage PESSONET. J’étais alors âgé de 13 ans et demi.

Ce garage, était réqui­si­tionné par la ville de MULHOUSE, et ce, jusqu’à l’ar­ri­vée des Alle­mands. Avec succès, j’ai passé le CAP (Brevet de compa­gnon­nage, en langue alle­mande) le 22/07/1943.

Mais le 24/03/1943, les auto­ri­tés alle­mandes nous firent passer devant un conseil de révi­sion à MULHOUSE. Déclaré apte, je fus enrôlé de force au R.A.D. (Reichar­beits­dienst).

Le 11/10/1943, nous fûmes nombreux à partir en train jusqu’à KRAMPF, près de BRINGENAU (Prusse orien­tale) où après quelques semaines d’édu­ca­tion mili­taire, avec une bêche, nous devions creu­ser la terre pour faire des routes. Des ampoules aux mains me faisaient souf­frir. Je n’étais plus en mesure d’ef­fec­tuer ce travail de terras­se­ment. Pour cette raison ils me mutèrent à l’aé­ro­drome de LIEGNITZ. Je montais la garde avec une bêche.

Les nazis me libé­rèrent le 4 janvier 1944. Peu de temps après la classe 1926 a été rassem­blée au lycée de jeunes filles à MULHOUSE. Là, nous avons été obli­gés de signer une feuille portant les runes SS. Tous, nous avons refusé d’ap­po­ser notre signa­ture. Nous avons été gardés jusqu’à minuit et battus. Pour pouvoir rentrer chez nous, fina­le­ment nous avons tous signé. Le lende­main, après avoir obtenu un rendez-vous, je suis allé chez le chef mili­taire de MULHOUSE. Ma plainte fut notée, et promesse me fut faite de me libé­rer de ma signa­ture obte­nue sous la contrainte. Cela par écrit : (voir photo­co­pie du docu­ment) malgré cet écrit, je fus enrôle de force dans la Waffen SS le 4/02/1944. Le chef alle­mand dans la région de Mulhouse m’avait menti. Nous étions envi­ron 950 Alsa­ciens enrô­lés de force.

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Après le départ de la gare de MULHOUSE, nous avons sorti et agité les drapeaux français, que nous avions, sur nous, dissi­mu­lés. Lors des arrêts du train, et jusqu’au passage du Rhin à Stras­bourg, nous chan­tions la Marseillaise.

Nous sommes arri­vés à STABLACH, près de KOENIGSBERG, où après avoir reçu les uniformes, pendant trois semaines, ils nous ont tortu­rés, pire que des enne­mis. Cela en repré­sailles de nos compor­te­ments après le départ de MULHOUSE.

La radio anglaise (captée en secret) a signalé ces faits qui furent enten­dus en Alsace.

Après la forma­tion mili­taire, nous avons été mis dans des wagons à bestiaux. Après 9 jours de voyage, nous arri­vons à LANGON (Gironde). Lors du trajet, notre alimen­ta­tion était compo­sée de pain, de boîtes, de viande et d’eau.

Un jour, dans une gare de triage, nous étions alors en France, nous avons entendu  » Il y a sur un wagon, une citerne de vin percée » Nous avons alors pris notre gamelle (2L envi­ron) et l’avons remplie. Le chef nous aver­tit  » il va y avoir un contrôle pour payer les dommages sur la citer­ne…! » Nous avons bu le vin. J’avais une cuite impos­sible à oublier.
Le 20/02/44 arri­vés à LANGON, ils nous ont rassem­blés et ques­tion­nés sur notre spécia­lité. Puisque j’avais le brevet de méca­ni­cien, j’ai été mis dans une compa­gnie de trans­port.

Avec nos sacs, nos armes, nous avons, dans la nuit, marché jusqu’à ARBENATS, parcou­rant ainsi 20 km. A la fin nous étions épui­sés et nous nous traî­nions. Pendant deux jours nous avons ressenti cette grande fatigue, c’est alors que j’ai été muté dans la première SS Pioner, Bataillon 2 Das Reich.

Le chef de compa­gnie était le lieu­te­nant HOHME. Pendant un mois nous étions formés comme élites. Ce fut jusqu’à épui­se­ment total de nos forces. Nous avons parcouru la contrée jusqu’à MONTAUBAN la VORETTE.
Le 17/05/1944, nous sommes arri­vés à VERDUN-sur-GARONNE. À plusieurs nous avons été instal­lés dans le château. Le Comte et la Comtesse, à qui j’ai raconté mes aven­tures, m’ont reçu comme leur fils. Ils m’ont donné à manger et à boire comme à un invité. Mais, cela seule­ment la nuit, quand les autres dormaient.

Nous étions 6 Alsa­ciens dans notre compa­gnie. Le 3/06/1944, j’ai reçu l’ordre de prépa­rer la trac­tion avant Citroën, afin d’em­me­ner le Chef de Compa­gnie et son épouse. Par le train, elle allait rega­gner l’Al­le­magne. Avec l’aide d’un gara­giste civil, nous avons crevé un pneu arrière de la voiture, et cela de façon à rendre la répa­ra­tion impos­sible.

Mon chef m’a verte­ment « engueulé », mais comme le temps pres­sait il a commandé un autre chauf­feur et une autre voiture, et est parti. Grâce à ce subter­fuge, j’ai sauvé ma vie, personne ne revint. Nous sûmes, peu de temps après, qu’ils avaient été attaqués par les maqui­sards. Cette attaque, est racon­tée par Guy Penaud, dans son livre: « Das Reich 2eme Panzer Divi­sion ». Notre stra­ta­gème fut donc utile ce 3/6/1944. Ce jour là, HOHME fut tué. Voici in extenso ce que dit Guy PENAUD, page 105 :  » Le 3 juin 1944 vers 10h30, le maquis attaqua à LINAC (Lot) à 150m du pont du COLOMBIER, à la hauteur de la borne FIGEAC 7 km, une voiture alle­mande isolée, dans des circons­tances parti­cu­lières. Cette voiture avait quitté FIGEAC (Lot) par la RN 122 et se diri­geait vers AURILLAC (Cantal). La Peugeot trans­por­tait trois SS et une femme de natio­na­lité alle­mande; en effet, le lieu­te­nant SS HOHME, comman­dant la première compa­gnie du 2ème bataillon du génie, avait eu l’étrange idée de faire venir sa femme auprès de lui. Le bataillon du génie de la divi­sion Das Reich était cantonné à cette époque dans la région de Toulouse, son état-major étant installé à GRENADE-sur-GARONNE (Haute Garonne). Ce jour-là, HOHME, sa femme, un autre SS et un chauf­feur occu­paient le véhi­cule. Arri­vés au lieu « Le Pont du COLOMBIER », peu après FIGEAC, le véhi­cule tomba dans une vallée encais­sée, sur des maqui­sards qui ouvrirent le feu. Deux Alle­mands furent tués; l’of­fi­cier, le lieu­te­nant SS HOHME, descen­dit du véhi­cule et ouvrit le feu avec son pisto­let. Une grenade l’acheva. Sa femme gisait inani­mée dans la voiture. Après une fouille rapide du véhi­cule, celui ci fut basculé dans le remblai côté CÉLÉ et incen­dié. Les résis­tants, de leur côté, se replièrent sur la rive Sud du côté CÉLÉ, du côté opposé à LINAC.

Vers 10h45, un second véhi­cule alle­mand arriva sur les lieux et donna l’alerte. La répres­sion fut cruelle, une tren­taine de véhi­cules blin­dés et un pelo­ton moto­cy­clistes étant venus en renfort de FIGEAC. Ne cher­chant même pas à retrou­ver les résis­tants, les mili­taires alle­mands passant devant la maison la plus proche du lieu de l’em­bus­cade, au bord de la route, aperçurent les habi­tants dans leur cuisi­ne…….. »

Notre stra­ta­gème fut donc utile.

Le 8/06/1644, nous avons reçu l’ordre de nous diri­ger vers la NORMANDIE, où avait eu lieu le débarque­ment le 6 juin 1944.

Je roulais en dernière posi­tion, afin de dépan­ner les chenillettes. Ce dépla­ce­ment fut très dange­reux, car après les dépan­nages une seule chenillette nous proté­geait. Dans les envi­rons de TULLE, les parti­sans nous ont attaqués. Ils avaient abattu plusieurs arbres sur la route. Nous avons donc du reve­nir vers TULLE. Autre attaque, une ving­taine de balles attei­gnirent mon véhi­cule. Cette nuit là, nous avons couché à TULLE, ne sachant pas que la nuit précé­dente, les FFI maqui­sards, avaient attaqué l’hô­pi­tal où étaient des Alle­mands bles­sés. En repré­sailles les Alle­mands ont pendu de nombreux maqui­sards.

Le 10/06/1944, nous avons retrouvé notre compa­gnie, elle était venue nous cher­cher. Nous avons passé près d’ORADOUR –sur-GLANE, où avait eu lieu le terrible massacre. Je pense qu’il était dû à une inter­ven­tion sur notre chef de compa­gnie et à d’autres attaques sur les troupes alle­mandes. Heureu­se­ment, notre chef, comman­dant la 2ème compa­gnie ne fut pas dési­gné pour effec­tuer le massacre.

Après quelques jours, nous sommes arri­vés en NORMANDIE. Nous ne pouvions rouler que la nuit. Le jour, les alliés avec leurs avions, nous mitraillaient, nous bombar­daient. La jour­née, nous étions camou­flés dans les chemins peu éloi­gnés de la route emprun­tée. Des branches coupées et mises sur les véhi­cules, empê­chaient les avia­teurs de nous voir. Nous sommes arri­vés en NORMANDIE, dans des lieux dont nous ne connais­sons pas le nom. Toutes les nuits, nous avan­cions dans les premières lignes, afin de récu­pé­rer les bles­sés, les morts, les chenillettes et autos mitrailleuses endom­ma­gés. C’étaient des Schüt­zen­pan­zer, avec des pneus incre­vables à l’avant et des chenillettes à l’ar­rière. Elles n’avaient pas de toit, cela pour que puissent être utili­sés en roulant : les mitrailleuses et les petits canons les armant.

Un jour, j’ai ramené un blessé grave dans le Citroën afin de le conduire à l’hô­pi­tal établi sous une tente. Pendant le parcours, les avions alliés nous prirent pour cible. Le sous chef Haupt-Scharfü­rer STAEKLI, chef de la section dépan­nage, alors cram­ponné sur l’aile avant droite (pour voir si les alliés attaquaient) fit un bond dans le fossé. Lorsque j’ar­rê­tais la voiture, le blessé était arrivé derrière lui. Malgré ses graves bles­sures, il avait sauté. Tous les jours, nous nous sommes avan­cés vers les alliés : des ponts étaient détruits pour les frei­ner dans leurs avan­cées.

Arri­vés près de OISSEL, le pont vers ROUEN était endom­magé, nous avons été ralen­tis. Dans une maison, à des civils, j’ai exprimé ma situa­tion d’ALSACIEN incor­poré de force et mes désirs de déser­ter. Furent-ils dubi­ta­tifs ? Ils m’in­vi­tèrent à reve­nir le lende­main matin. Je deman­dais à René LAMBERT de venir avec moi. Il a long­temps hésité car c’était un ancien, il était marié et avait deux enfants. Après plusieurs minutes, il a accepté. Nous avons mis nos bleus de travail, et discrè­te­ment nous sommes partis. J’ai retrouvé la maison, mais elle était vide. Les gens avaient eu peur. Entre-temps, nous avons dissi­mulé nos armes et nos papiers près d’un arbre, dans un trou que nous avons comblé.

Le jour avant, j’avais remarqué une maison­nette de jardin dont la chemi­née fumait. Mon copain René, eut peur et se cacha dans un fossé. J’ai frappé à la porte, une voix fémi­nine m’a demandé ce que je voulais. J’ai alors répondu  » Nous sommes 2 Alsa­ciens déser­teurs de l’ar­mée alle­mande et nous cher­chons un refuge ». De suite, une femme m’a ouvert la porte et m’a dit que leurs deux hommes étaient absents, car dans le maquis. Elle m’a donné de suite des habits de son mari. Je suis allé cher­cher René, à lui aussi, elle donna des vête­ments.

Dans cette maison­nette, il y avait 2 femmes, 2 filles, 1 garçon et une grand-mère. Nous nous sommes ainsi retrou­vés à 8 personnes. Un peu plus tard, nous avons entendu des Alle­mands parler devant la maison. C’étaient des soldats de notre compa­gnie. La femme nous a dit de nous coucher sous le mate­las, et les filles et la grand-mère se sont couchées dessus. Les Alle­mands entrèrent mais ne virent rien d’anor­mal, ils repar­tirent. Une fois encore, j’étais sauvé. Ces personnes qui nous sauvèrent avaient pour nom SAEGART, et étaient d’OISSEL.

Après 3 jours, les maris des femmes sont, de nuit reve­nus. Ils nous ont emme­nés à ST AUBIN les ELBEUF dans le château. Là, il y avait des FFI (Force Française de l’In­té­rieur). Le lende­main, après les ques­tions et expli­ca­tions que l’on devine, me fut remis un fusil. J’ai d’abord gardé des prison­niers alle­mands. Les FFI eurent tôt fait de me consi­dé­rer comme un ami. Nous avons combattu des Alle­mands et fait des prison­niers. Peu après, je suis tombé en panne de camion, le filtre à essence était bouché. Couché sur l’aile avant gauche, j’ef­fec­tuais le nettoyage du filtre. Une voiture alle­mande est passée trop près et m’a accro­ché. Je fus trainé au moins sur 10m. En repre­nant mes sens, je deman­dais si quelqu’un avait un miroir, afin que je puisse voir mon visage très endo­lori. Mes deux mains étaient écor­chées, ensan­glan­tées et très doulou­reuses. De plus, j’avais mon panta­lon déchiré et une grosse bles­sure près de la fesse. Le camion étant toujours en panne, ils m’ont trans­porté sur une voiture atte­lée d’un cheval jusqu’à l’hô­pi­tal, proba­ble­ment à ELBEUF. Mes bles­sures furent soignées, recou­sues. Je suis resté plusieurs jours en obser­va­tion. Sorti de l’hô­pi­tal, j’ai dû y retour­ner tous les jours afin que mon visage, mes mains, ma fesse soient soignés. Progres­si­ve­ment, j’ai retrouvé ma vita­lité.

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Nous avions un Adju­dant chef, il était de réserve. Il savait où trou­ver de l’es­sence, et il nous emme­nait sur la Seine pour pêcher à la dyna­mite.
A la libé­ra­tion, les mili­taires nous ont emme­nés à ROUEN, à la caserne du 31ème Train de B.S.M, où nous sommes restés plusieurs semaines. Comme tenue, nous avions un panta­lon mili­taire, une veste civile et un calot.
Mon ami René, avait une cousine à PARIS, il m’y a emmené par le train.
Au début j’étais seul dans un centre d’ac­cueil et sans argent. A PARIS, quelques petites aides me furent attri­buées. J’ai retrouvé l’adresse de la grand-mère, qui était avec sa fille dans la maison­nette, où j’avais déserté à OISSEL. Elle était gardienne dans un petit hôtel, 18 rue de Belfort à PARIS. Il y avait aussi une autre des filles qui était dans la maison­nette de OISSEL Elle m’a prêté sa chambre où je suis resté jusqu’à mon retour à MULHOUSE. Mon ami René, m’a trouvé une place de manœuvre dans une usine, de là, j’ai pu empor­ter tous les soirs du bois pour chauf­fer la chambre.

Le 2/04/1945, j’ai pu enfin, avec le premier train voyagé jusqu’à BELFORT. Là, j’ai appris que des essais été effec­tués sur le viaduc de DANNEMARIE afin d’en contrô­ler la résis­tance en charge. Je me suis donc caché dans les toilettes, ainsi, je suis arrivé, seul dans le train, à la gare bombar­dée de MULHOUSE. A pied, je suis rentré chez mes parents. En me voyant, ils furent très, très heureux car les Alle­mands les avaient préve­nus de ma dispa­ri­tion à OISSEL.

Le 5/04/1945, pour la durée de la guerre, je me suis engagé dans la 4ème Divi­sion Maro­caine de Montagne. C’était à DORNACH. J’ai reçu l’uni­forme améri­cain. Quelques jours plus tard, nous sommes partis à STRASBOURG où nous avons fran­chi le Rhin sur un pont provi­soire.
En Alle­magne, le long du Rhin, nous avons combattu jusqu’à la fron­tière d’Au­triche. A DORNBIRN, nous avons été canton­nés jusqu’à la fin mai. Un soir, nous étions encer­clés par des milliers de SS (5000 envi­ron). Ils tentaient de rentrer en Alle­magne via l’Au­triche. Je les ai enten­dus parler alle­mand telle­ment ils étaient près de nous. Fort heureu­se­ment ils restèrent sur place. Le lende­main au matin l’avia­tion alliée les a anéan­tis. C’est en cette période qu’en qualité de méca­ni­cien, je fus muté dans la 188ème Compa­gnie de Tran­sport. J’étais armé d’un fusil et de 8 cartouches.

Le lende­main matin de mon arri­vée dans la 188ème compa­gnie, le Chef de Compa­gnie m’a convoqué. Il a voulu me donner des faux papiers et me faire chan­ger de compa­gnie, car j’avais en poche, les papiers attes­tant ma déser­tion de l’ar­mée nazie. Si les SS s’étaient avan­cés quelques mètres de plus et avaient trouvé ces papiers, j’au­rais été fusillé. J’ai refusé ma muta­tion, par esprit de cama­ra­de­rie. J’étais ami avec tous les autres, de plus ils avaient besoin de moi comme inter­prète, j’étais le seul à parler français et alle­mand. Cela me permet­tait égale­ment d’or­ga­ni­ser des bals tous les same­dis. Nous avions des quan­ti­tés de litres d’al­cool: fruit de nos échanges contre de l’es­sence avec les paysans. Pour du choco­lat, des ciga­rettes et du schnaps, nous avions pratique­ment toutes les filles. Comme nous étions les seuls mili­taires, à possé­der ces produits ou denrées, pour rester les maîtres de la situa­tion, nous avons dû, nous bagar­rer avec les autres mili­taires.

Souvent, j’étais commandé, pour emme­ner des permis­sion­naires à STRASBOURG. Je modi­fiais l’ordre de mission, en portant la mention  » via SÉLESTAT ». Ainsi, j’ai pu aller à KINTZEIM voir ma famille, ainsi que les filles connues grâce à ma cousine.

Après tous ces périples, nous sommes rentrés en France. Nous étions canton­nés à DANJOUTIN, près de BELFORT.

Le 13/11/1945 à GRENOBLE, nous étions démo­bi­li­sés de la 4ème D.M.M. (Divi­sion Maro­caine de Montagne). J’étais âgé de 19 ans et 8 mois. Numéro matri­cule français 07411.

La France m’a décerné: le titre de la Recon­nais­sance de la Nation, la Croix de Guerre, la Médaille des Évadés, et la Médaille des Combat­tants de la Résis­tance.

Voilà donc à grands traits le résumé de mon passage dans l’ar­mée enne­mie et celui de mon passage dans l’ar­mée française.

Le 16 avril 1949, j’ai épousé Marie-Antoi­nette SCHWARTZENTRUBER. C’est ensemble que nous avons créé en octobre 1951 (après 2 ans d’exer­cice de ma profes­sion de méca­ni­cien auto­mo­bile) avec l’aide finan­cière d’un ami notre premier petit garage. Nous l’avons appelé « GARAGE MAURICE ». Nous avions un sala­rié. Quelques temps après, nous rembour­sions notre ami.

En 1963, nous avons construit un garage plus grand. Au cours des années, nous l’avons agrandi et nous avons pu embau­cher plus de person­nel. Grâce à mon appren­tis­sage commencé à 13 ans et demi et mes 2 années mili­taires, j’ai pu prendre ma retraite à 60 ans.

Nous avons légué ce garage, en usufruit, à nos 2 enfants. Ils sont titu­laires pour l’un : du brevet de Maîtrise de méca­ni­cien auto­mo­bile, pour l’autre : du Brevet de Maîtrise de Carros­sier Peintre.

Actuel­le­ment, 2 petits enfants, l’une avec une Maîtrise de Gestion, l’autre avec le Brevet de Maîtrise aident à gérer l’af­faire. Nous avons 23 sala­riés.

Maurice STOTZ

 PS 1 : Je suis retourné plusieurs fois en Norman­die et je suis resté ami avec les Normands jusqu’à leurs décès.

 PS 2 : Je tiens à remer­cier l’As­so­cia­tion S.N.I.F.A.M. (Soli­da­rité Normande aux Incor­po­rés de Force Alsa­cien-Mosel­lans)

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