Cela fait plusieurs années que je m’intéresse à la tragédie d’Oradour-sur-Glane en tant que journaliste, en recherchant, comme beaucoup avant moi et sans doute de nombreux après, les raisons profondes de cette tragédie. Dans ce contexte, le documentaire « Das Reich », diffusé le 2 mars sur France 3, est une immense frustration. Car il y avait la matière pour faire quelque chose d’exceptionnel.
En effet, tout au long de la guerre, la machine de propagande allemande a suivi de près la « Das Reich », une des divisions fétiches du IIIe Reich. Elle a donc été photographiée et filmée tant sur le front de l’est qu’en Normandie et même lorsqu’elle était au repos.
Pourquoi dès lors la production introduit-elle à de nombreuses reprises des images de soldats de la Wehrmacht ? Souvent d’ailleurs, on voit des images de tankistes Wehrmacht dont l’uniforme, comme celui des SS, comporte au col des têtes de mort. Et même parfois, lorsqu’il s’agit bien de Waffen SS, toute une séquence montre le commandant Michael Wittmann, un des as des panzers qui fait partie d’une autre division, la Leibstandarte SS « Adolf Hitler », sans que cela soit souligné. Mais ce n’est pas le pire.
Que vient faire en plein milieu un film soviétique tourné après la guerre et qui montre une reconstitution parfaitement grotesque du massacre d’Oradour ? On y voit des habitants brûlés vifs dans une église en bois, les SS autour faisant usage de lance-flammes, arme qui ne fut jamais utilisée à Oradour. On pourrait ainsi relever des dizaines d’erreurs ou d’approximations tout au long, le maniement des désignations militaires, du rôle de l’artillerie, de l’infanterie et des engins blindés et leur usage en configuration de combat étant visiblement le cadet des soucis des concepteurs du documentaire.
Mais la plus grosse erreur – en est-ce une d’ailleurs ou est-ce intentionnel ? – concerne les incorporés alsaciens. Estimés au nombre de 6000 à un moment, il est dit à un autre qu’ils forment le gros de la troupe. La division comportant plus de 15 000 hommes lorsqu’elle est basée à Montauban, on se demande bien comment 6000 alsaciens pourraient en composer la majorité. Passons…
Le vrai scandale c’est que l’immense majorité de ces Alsaciens sont des incorporés de force. Je rappellerai à ce sujet le témoignage bouleversant d’Albert Daul, incorporé de force alsacien présent à Oradour, que j’avais rencontré l’an dernier. Du jour de son incorporation, il me disait : « On nous avait donné rendez-vous le lendemain à la gare. Je me suis dit : « Il faut que j’y aille, je veux pas que mes parents soient mis dans un camp… » Celui de Schirmeck par exemple… En plus, mon oncle était député communiste, alors, vous voyez… Je voulais pas que mes parents soient emmerdés avec cette histoire, il valait mieux que je me sacrifie pour eux, pour qu’il ne leur arrive rien ». Albert Daul est donc parti rejoindre la division « Das Reich » certainement pas la fleur au fusil, mais en emportant avec lui une petite médaille de la Sainte Vierge donnée par sa mère. Pour la plupart des Alsaciens, ce fut un déchirement. Or le documentaire laisse planer le doute sur leurs motivations, notamment à travers le témoignage d’Elimar Schneider qui, rappelons-le, a permis de sauver deux hommes de la pendaison à Tulles.
Je suis effaré de constater qu’encore aujourd’hui, on continue sur une chaîne grand public à colporter ces vieux mensonges sur les Alsaciens, mensonges qui ont divisé notre pays pendant si longtemps et qui, dans le cas d’Oradour-sur-Glane, ont vu le Limousin et l’Alsace se tourner le dos pendant plus de 50 ans.
Régis Le Sommier
(Les mystères d’Oradour. Du temps du deuil à la quête de la vérité, Michel Lafon, Paris, 2014)