« 1944 : La guerre continue… Un Etat Major allemand vient s’installer dans les bois…Les trois quarts du château sont occupés par le commandement. Ils sont chez eux…Il faut maintenant un laissez- passer pour circuler dans la propriété de douze hectares du château de Vauguion. Dans la plaine autour du Château, il y a des campements avec leur cuisine roulante. On voit partout, des tentes bariolées. Ils coupent même les branches des arbres pour organiser leur camouflage.Nous n’osons plus nous aventurer comme avant dans les bois. Il y a des soldats partout. Ils ont vite fait de repérer les jeunes filles dans la petite maison en bordure du jardin potager ! Ils se croient tout permis. On les voit rôder, entrer dans le jardin, frapper à notre porte en disant : « Fräulein » « Oui, mais pas pour vous » réplique ma mère en nous faisant partir dans les chambres à l’arrière de la maison et en se postant devant la porte les bras en croix pour leur interdire d’entrer.Ce sont des SS, des « durs ». Tout est prétexte pour essayer de s’introduire dans notre maison. Une fois, c’est pour cuire des œufs, une autre fois leurs couteaux sont mal aiguisés et ne peuvent pas couper leur gros jambon…Heureusement ma mère a beaucoup de prestance et ne se laisse pas intimider. Nous sommes en admiration devant son comportement.Il y a beaucoup de passage dans la propriété du château. Les camions remplis de soldats défilent dans les allées centrales. Un jour, arrive un groupes de soldats, un peu plus âgés, qui sont fiers de raconter leur dernier exploit : Le 10 juin, ils ont enfermé des civils, hommes, femmes et enfants, dans une église et y ont mis le feu…Ils ont brûlé également tout le village en guise de représailles. Ils viennent d’Oradour-sur-Glane……Celui qui parle en français me fait peur et me dégoûte avec ses grosses mains, ses mains de tueur…Il n’a pas du tout l’accent allemand. Il nous apprend qu’il est français et qu’il habite Lens, dans le nord de la France. Il s’est enrôlé dans l’armée allemande et il est très fier de ce qu’il vient d’accomplir avec ses amis allemands. Un français massacrant d’autres français…! Il n’y a pas de quoi être glorieux… Ces hommes nous répugnent. Ils ne sont heureusement que de passage. Nous ne les voyons plus rôder autour de chez nous. Ce sont vraiment des tueurs…Il y a aussi des enrôlés de force dans l’armée allemande : un petit groupe d’Alsaciens en fait partie . Ceux-ci nous informent des allées et venues de certains régiments desquels il faut se méfier. Ces Alsaciens, en poste depuis un certain temps, sont épiés par les S.S. et font attention à ce qu’ils disent. Ce qui déroute l’ennemi c’est qu’ils parlent le patois alsacien entre eux ! »
Source : http://www.ouest-france.fr/juin-1944-yvette-croise-les-tueurs-doradour-582175/