Le week-end de la Toussaint offre une occasion d’aller se recueillir sur les tombes de ses proches. Denise Blum, de Kogenheim, a ainsi pu se rendre sur celle de sa mère, enterrée dans la commune. La tombe de son père, en revanche, Denise ne l’a vue qu’une fois, l’été dernier, après avoir passé une vie à la chercher. Elle l’a trouvée à Constanza, en Roumanie…
Dans la maison de Denise Blum, à Kogenheim, les murs sont tapissés de photographies. On y voit ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants. Et, à plusieurs reprises, un beau jeune homme, sur une photo en noir et blanc. Il s’agit de François-Xavier Pfost, son père.
Denise n’a que 5 ans lorsque son papa, coiffeur à Kogenheim, est incorporé de force dans l’armée allemande. Nous sommes en 1943, François-Xavier a 29 ans. L’année suivante, la famille Pfost apprend par la mairie de Kogenheim que François-Xavier est tombé au front. Un document officiel leur parvient un peu plus tard. Il mentionne la date du décès, le 16 avril 1944, mais reste vague sur le lieu du drame. Il y est inscrit Sébastopol-Constanza, Russie. Or, si Sébastopol se situe en effet non loin de la Russie, dans la péninsule de Crimée en Ukraine, Constanza est une ville de Roumanie. Les deux villes, portuaires, étant séparées par la mer Noire, Denise imagine assez vite un scénario. « Pour moi, il était clair qu’il avait été transporté sur un bateau puis que son corps avait été jeté dans la mer Noire. »
Denise tente quand même d’en savoir plus. Elle apprend qu’il a été victime d’un éclat d’obus à la cuisse gauche en Crimée. La suite, elle ne peut que l’imaginer. « Comme les soins étaient compliqués à cette époque, je suppose que la gangrène s’est développée. » Les autres recherches qu’elle mène sont compliquées et, le plus souvent, infructueuses. Denise commence à se résigner, même si, dans sa famille, certains sont persuadés que François-Xavier est enterré quelque part.
« En cinq minutes, j’ai trouvé le nom du cimetière, le numéro de la tombe de mon père et la rangée. Après avoir cherché pendant 60 ans »
La lumière viendra d’un article paru le 25 mars 2003 dans les Dernières Nouvelles d’Alsace. Cet article évoque un Colmarien tombé lui aussi pendant la Deuxième Guerre mondiale, et dont la tombe a été retrouvée grâce à l’organisme allemand chargé des tombes de guerre, le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge. Le site internet de cet organisme est annoté au bas de l’article. Denise s’y connecte. « En cinq minutes, j’ai trouvé le nom du cimetière, le numéro de la tombe de mon père et la rangée. Après avoir cherché pendant 60 ans. » Denise trouve également la ville où il est enterré : Constanza, en Roumanie. Dès lors, elle n’a plus qu’une idée en tête : partir en Roumanie et trouver la tombe de son père pour, enfin, pouvoir se recueillir et faire son deuil.
Mais les démarches sont compliquées. Le voyage n’est pas simple pour rallier une ville située à l’extrême est de la Roumanie, à plus de 2000 kilomètres de Kogenheim. Des liaisons aériennes existent au départ de Luxembourg. Mais elles ne fonctionnent qu’une fois par semaine, le dimanche. « Qu’aurais-je fait pendant une semaine là-bas ? s’interroge encore Denise. Je voulais juste me retrouver quelques heures auprès de mon père. » Ce fameux voyage vers Constanza, Denisedevra finalement attendre l’été 2011 pour le réaliser.
La commune de Sermersheim, voisine de Kogenheim, est jumelée avec la ville d’Obzor, en Bulgarie, située à 200 kilomètres au sud de Constanza. Par l’intermédiaire de la secrétaire du jumelage à Sermersheim, Denise Blum obtient les coordonnées d’un couple d’Obzor. Denise, accompagnée d’une amie, se rend en Bulgarie en voyage organisée. A Obzor, toutes deux sont prises en charge par ce couple, qui les emmène au centre-ville de Constanza, où se trouve le cimetière militaire allemand dans lequel est enterré son père.
François-Xavier Pfost repose dans la tombe 198, rangée 5. Dans ce cimetière, il est Xaver Pfost. « J’ai vu qu’il était enterré avec quelqu’un d’autre. J’ai déposé les deux plaques en granit que j’avais apportées avec moi. Et j’ai pleuré. » Denise est restée une journée à Constanza. Puis elle a pris le chemin du retour vers la France. « Dans l’avion, j’ai pas mal cogité. J’avais un peu l’impression de l’abandonner. Puis je me suis dit que maintenant, je savais où il était et que je pouvais faire mon deuil. »
Une sonnerie aux morts en ultime hommage.
Denise Blum a aujourd’hui 74 ans. Elle espère encore pouvoir retourner au moins une fois sur la tombe de son papa. Le seul contact qu’elle garde, c’est cette terre qu’elle a ramassée au pied de la tombe et qu’elle conserve soigneusement. Elle a bien songé à faire rapatrier la tombe de son père à Kogenheim, mais trop d’incertitudes demeurent. Comment ? A quel prix ?
Malgré le peu de souvenirs qu’elle conserve de son père, Denise assure être « très liée avec lui. Je l’emmène partout avec moi, dans mon coeur. »
François-Xavier Pfost s’est vu attribuer la mention « Mort pour la France » en 1951. Il y a quelques années, Denise a communiqué les coordonnées de la tombe de son père à Patrick Kautzmann. Ce trompettiste alsacien fils d’un Malgré-nous, qui consacre son temps libre à rechercher des incorporés de force alsaciens disparus en Roumanie, en Moldavie et en Hongrie, s’est rendu sur la tombe de François-Xavier pour lui jouer la Sonnerie aux morts.
Florent Estivals
L’histoire de Denise est semblable à celle de centaines d’autres Alsaciens, qui trouveront peut-être des réponses à leurs questions sur les sites www.malgre-nous.eu et www.volksbund.de.