Le deuil, 67 ans après

Commentaire (0) Revue de presse

 

Le week-end de la Tous­saint offre une occa­sion d’al­ler se recueillir sur les tombes de ses proches. Denise Blum, de Kogen­heim, a ainsi pu se rendre sur celle de sa mère, enter­rée dans la commune. La tombe de son père, en revanche, Denise ne l’a vue qu’une fois, l’été dernier, après avoir passé une vie à la cher­cher. Elle l’a trou­vée à Cons­tanza, en Rouma­nie…

Dans la maison de Denise Blum, à Kogen­heim, les murs sont tapis­sés de photo­gra­phies. On y voit ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants. Et, à plusieurs reprises, un beau jeune homme, sur une photo en noir et blanc. Il s’agit de François-Xavier Pfost, son père.

Denise n’a que 5 ans lorsque son papa, coif­feur à Kogen­heim, est incor­poré de force dans l’ar­mée alle­mande. Nous sommes en 1943, François-Xavier a 29 ans. L’an­née suivante, la famille Pfost apprend par la mairie de Kogen­heim que François-Xavier est tombé au front. Un docu­ment offi­ciel leur parvient un peu plus tard. Il mentionne la date du décès, le 16 avril 1944, mais reste vague sur le lieu du drame. Il y est inscrit Sébas­to­pol-Cons­tanza, Russie. Or, si Sébas­to­pol se situe en effet non loin de la Russie, dans la pénin­sule de Crimée en Ukraine, Cons­tanza est une ville de Rouma­nie. Les deux villes, portuaires, étant sépa­rées par la mer Noire, Denise imagine assez vite un scéna­rio. « Pour moi, il était clair qu’il avait été trans­porté sur un bateau puis que son corps avait été jeté dans la mer Noire. »

Denise tente quand même d’en savoir plus. Elle apprend qu’il a été victime d’un éclat d’obus à la cuisse gauche en Crimée. La suite, elle ne peut que l’ima­gi­ner. « Comme les soins étaient compliqués à cette époque, je suppose que la gangrène s’est déve­lop­pée. » Les autres recherches qu’elle mène sont compliquées et, le plus souvent, infruc­tueuses. Denise commence à se rési­gner, même si, dans sa famille, certains sont persua­dés que François-Xavier est enterré quelque part.
« En cinq minutes, j’ai trouvé le nom du cime­tière, le numéro de la tombe de mon père et la rangée. Après avoir cher­ché pendant 60 ans »
La lumière vien­dra d’un article paru le 25 mars 2003 dans les Dernières Nouvelles d’Al­sace. Cet article évoque un Colma­rien tombé lui aussi pendant la Deuxième Guerre mondiale, et dont la tombe a été retrou­vée grâce à l’or­ga­nisme alle­mand chargé des tombes de guerre, le Volks­bund Deutsche Krieg­sgrä­berfür­sorge. Le site inter­net de cet orga­nisme est annoté au bas de l’ar­ticle. Denise s’y connecte. « En cinq minutes, j’ai trouvé le nom du cime­tière, le numéro de la tombe de mon père et la rangée. Après avoir cher­ché pendant 60 ans. » Denise trouve égale­ment la ville où il est enterré : Cons­tanza, en Rouma­nie. Dès lors, elle n’a plus qu’une idée en tête : partir en Rouma­nie et trou­ver la tombe de son père pour, enfin, pouvoir se recueillir et faire son deuil.

Mais les démarches sont compliquées. Le voyage n’est pas simple pour rallier une ville située à l’ex­trême est de la Rouma­nie, à plus de 2000 kilo­mètres de Kogen­heim. Des liai­sons aériennes existent au départ de Luxem­bourg. Mais elles ne fonc­tionnent qu’une fois par semaine, le dimanche. « Qu’au­rais-je fait pendant une semaine là-bas ? s’in­ter­roge encore Denise. Je voulais juste me retrou­ver quelques heures auprès de mon père. » Ce fameux voyage vers Cons­tanza, Deni­se­de­vra fina­le­ment attendre l’été 2011 pour le réali­ser.

La commune de Sermer­sheim, voisine de Kogen­heim, est jume­lée avec la ville d’Ob­zor, en Bulga­rie, située à 200 kilo­mètres au sud de Cons­tanza. Par l’in­ter­mé­diaire de la secré­taire du jume­lage à Sermer­sheim, Denise Blum obtient les coor­don­nées d’un couple d’Ob­zor. Denise, accom­pa­gnée d’une amie, se rend en Bulga­rie en voyage orga­ni­sée. A Obzor, toutes deux sont prises en charge par ce couple, qui les emmène au centre-ville de Cons­tanza, où se trouve le cime­tière mili­taire alle­mand dans lequel est enterré son père.

François-Xavier Pfost repose dans la tombe 198, rangée 5. Dans ce cime­tière, il est Xaver Pfost. « J’ai vu qu’il était enterré avec quelqu’un d’autre. J’ai déposé les deux plaques en granit que j’avais appor­tées avec moi. Et j’ai pleuré. » Denise est restée une jour­née à Cons­tanza. Puis elle a pris le chemin du retour vers la France. « Dans l’avion, j’ai pas mal cogité. J’avais un peu l’im­pres­sion de l’aban­don­ner. Puis je me suis dit que main­te­nant, je savais où il était et que je pouvais faire mon deuil. »
Une sonne­rie aux morts en ultime hommage.

Denise Blum a aujourd’­hui 74 ans. Elle espère encore pouvoir retour­ner au moins une fois sur la tombe de son papa. Le seul contact qu’elle garde, c’est cette terre qu’elle a ramas­sée au pied de la tombe et qu’elle conserve soigneu­se­ment. Elle a bien songé à faire rapa­trier la tombe de son père à Kogen­heim, mais trop d’in­cer­ti­tudes demeurent. Comment ? A quel prix ?
Malgré le peu de souve­nirs qu’elle conserve de son père, Denise assure être « très liée avec lui. Je l’em­mène partout avec moi, dans mon coeur. »

François-Xavier Pfost s’est vu attri­buer la mention « Mort pour la France » en 1951. Il y a quelques années, Denise a commu­niqué les coor­don­nées de la tombe de son père à Patrick Kautz­mann. Ce trom­pet­tiste alsa­cien fils d’un Malgré-nous, qui consacre son temps libre à recher­cher des incor­po­rés de force alsa­ciens dispa­rus en Rouma­nie, en Molda­vie et en Hongrie, s’est rendu sur la tombe de François-Xavier pour lui jouer la Sonne­rie aux morts.

Florent Esti­vals

L’his­toire de Denise est semblable à celle de centaines d’autres Alsa­ciens, qui trou­ve­ront peut-être des réponses à leurs ques­tions sur les sites www.malgre-nous.eu et www.volks­bund.de.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *