Le vendredi 12 mai 1944 à Maurs (Cantal)

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin

 

Trouvé sur un autre forum « le monde en guerre 39–45 » je retrans­cris ce message de cette résis­tante Canta­lienne.

Hommage à Denise Dede­nis, une authen­tique résis­tante.

Bonjour à toutes et bonjour à tous,

Le lundi 24 janvier 2011, avait lieu à l’ab­ba­tiale Saint-Cézaire de Maurs-la-Jolie (Cantal) les obsèques de Madame Denise Dede­nis, âgée de 93 ans.

En appre­nant son décès, le samedi 22 janvier 2011, j’ai été assez ému car avec la dispa­ri­tion de cette dame, fille d’un facteur retraité de Maurs et veuve d’un employé de la SNCF, qui avait été, avec son mari, une authen­tique résis­tante du maquis de Biars-Breton­noux (Lot) durant la Seconde guerre mondiale, s’en allait une des dernières survi­vantes pouvant racon­ter cette bien triste époque.

Elle avait fort heureu­se­ment rédigé fin 2003 un témoi­gnage assez remarquable sur la jour­née du vendredi 12 mai 1944 à Maurs où la guerre, qui avait jusque là tota­le­ment épar­gné le petit Chef-lieu de canton du Sud-Ouest du Cantal, s’y est très soudai­ne­ment invi­tée lors d’une rafle de la terrible divi­sion SS « Das Reich »… Son témoi­gnage et celui de 21 autres personnes, ont étés réunis à l’ini­tia­tive de la mairie de Maurs au prin­temps 2004, à l’oc­ca­sion du soixan­tième anni­ver­saire de « la rafle » dans une petite brochure inti­tu­lée « De mémoire de Maur­sois… 12 mai 1944 – La Rafle – Afin que le souve­nir demeure ». Cette brochure a été remise à la popu­la­tion maur­soise le 12 mai 2004 en présence de Monsieur le Préfet du Cantal et de tous les élèves des écoles de Maurs afin juste­ment que ces jeunes filles et ces jeunes garçons puissent eux-aussi trans­mette ensuite les témoi­gnages de personnes qui ont connu cette jour­née de guerre bien après la dispa­ri­tion du dernier témoin…

L’his­to­rien auver­gnat Eugène Martres (un Canta­lien lui aussi), corres­pon­dant pour l’Au­vergne de « l’Ins­ti­tut d’His­toire du Temps présent » a bien voulu rédi­ger la préface de cette brochure. Eugène Martres est l’au­teur de plusieurs livres sur l’his­toire de l’Au­vergne durant la Seconde guerre mondiale, dont « Le Cantal de 1939 à 1945 – Les troupes alle­mandes à travers le Massif-Central » paru aux éditions De Borée en 1993.

Dans son témoi­gnage, Denise Dede­nis évoque un aspect souvent méconnu par les « Français de l’In­té­rieur » : celui des pauvres Alsa­ciens et Lorrains enrô­lés de force dans l’ar­mée alle­mande, les « Malgré Nous ».

Voici le témoi­gnage fort instruc­tif de Madame Denise Dede­nis :

« Ceci est l’his­toire authen­tique que j’ai vécue ce 13 mai 1944, jour de la rafle à Maurs. J’ha­bi­tais Biars-sur-Cère à l’époque. Mon mari, Georges Dede­nis, était employé à la SNCF et nous avions trois enfants. J’étais venue voir mes parents qui, eux, habi­taient à Maurs (avenue de la Gare). Mon père était facteur en retraite, il s’ou­bliait souvent au bistrot où il ne cessait de vitu­pé­rer sur « ces sales Boches », ma mère le mettait en garde car la milice et la gestapo étaient partout et il risquait de se faire ramas­ser.

Donc, ce matin du vendredi 12 mai 1944, de violents coups ont ébranlé la porte. Je suis sortie à la fenêtre : quatre soldats alle­mands se tenaient en bas. Me prenant pour une demoi­selle ils m’ont demandé où était mon père ? Ce dernier, pensant qu’on venait l’ar­rê­ter, les a suivi sans prendre ni veste, ni papiers. Georges, mon mari, est sorti et les a suivi de loin, discrè­te­ment, mais avec sur lui sa carte d’em­ployé à la SNCF où trônait un timbre avec la photo d’Hit­ler, ainsi il pensait ne pas être inquiété.

Je suis descen­due à mon tour voir ce qui se passait. Madame Clot, mère d’Henri Clot, qui arri­vait du centre-ville, me dit de porter au plus vite les papiers d’iden­tité à mon père car les Alle­mands venaient de décla­rer que les personnes ne possé­dant pas de papiers, donc suspectes, seraient fusillées ou dépor­tées !…

Madame Delpon, qui habi­tait en face de chez mes parents, se trou­vait dehors avec sa fille Juliette. Cette dernière me dit : « Attends-moi, je viens avec toi. » Nous voilà donc parties place de l’église où Madame Clot m’avait dit que les hommes étaient « parqués ». Mais là, il n’y avait plus person­ne… Je m’in­forme à l’épi­ce­rie Canet où on me dit qu’ils étaient partis par la route de Bagnac [note de Roger 15 : l’ac­tuelle RN 122 vers Bagnac et Figeac]. Je file donc par cette route, toujours escor­tée par Juliette Delpon. Arri­vées après l’em­bran­che­ment de la route de la gare, à gauche, et la ferme Momboisse à droite, nous consta­tons que la route était barrée. Un offi­cier alle­mand avec sa mitraillette faisait recu­ler Madame Canet-Durand qui, certai­ne­ment, voulait récu­pé­rer son mari et pleu­rait à chaudes larmes. Cela avait l’air d’exas­pé­rer cet offi­cier

Prenant mon courage à deux mains, je m’avance vers l’of­fi­cier alle­mand lui décla­rant que j’ac­cuse ses soldats d’avoir emmené mon père sans lui avoir donné le temps de prendre sa veste et ses papiers. Cet offi­cier m’a toisé des pieds à la tête puis a regardé les papiers que je lui avais four­rés dans les mains. Il a fait signe à un jeune soldat alle­mand de me suivre. Je n’avais pas fait dix pas que ce jeune soldat se tourne vers moi et me demande, dans un français parfait, si les Alle­mands avaient été corrects avec moi ? Toute ébahie, je lui demande alors si lui n’était pas soldat alle­mand ? « Ah non !… Moi, je suis Alsa­cien, j’ai seize ans, et les Alle­mands m’ont enrôlé de force, sinon c’était mon père qui partait à ma place !… ». Son papa avait une ferme et des enfants en bas âge. Toujours méfiante, je lui demande cepen­dant où sa Divi­sion comp­tait se rendre en partant de Maurs ? Il me répond : « Demain, nous serons à Brete­noux-Biars ». En enten­dant cette desti­na­tion mon sang n’a fait qu’un tour… En effet, à Brete­noux-Biars était situé le plus grand Maquis de la Résis­tance du Lot dont nous faisions partie, mon mari et moi. Il fallait abso­lu­ment que je me sorte de ce guêpier le plus rapi­de­ment possible et que j’aille à Biars-sur-Cère préve­nir les gens de notre Maquis.

Confi­dence pour confi­dence j’ai dit à ce jeune Alsa­cien que j’avais trois enfants dont une petite fille et qu’il me tardait de récu­pé­rer mon père et de renter chez moi. Il m’a recom­mandé de n’avoir pas peur des Alle­mands, c’était le meilleur moyen de les inti­mi­der, ce qui était vrai.

Arrivé au petit ruis­seau, en face du garage Costes actuel­le­ment, je vois un méde­cin juif que je connais­sais, il portait deux seaux d’eau. Il a tombé ses lunettes, j’ai fait un geste pour les lui ramas­ser, mais « l’Al­le­mand-Alsa­cien » m’a vive­ment tiré en arrière. J’ai aperçu Marius Aymard, qui lui aussi traî­nait des seaux d’eau. Il y avait là un autre offi­cier alle­mand qui parlait avec Monsieur Raymond Puech, alors maire de Maurs. »

J’in­ter­romps provi­soi­re­ment le témoi­gnage de Madame Denise Dede­nis pour appor­ter la préci­sion suivante :

Les soldats alle­mands avaient, en encer­clant Maurs, pris soin d’in­ves­tir en tout premier la gendar­me­rie et de désar­mer les gendarmes qu’ils avaient parqués avec tous les hommes valides qu’ils trou­vaient ici ou là, dans les rues ou dans les maisons. Il n’y avait alors plus d’au­to­rité offi­cielle pour parle­men­ter avec les soldats alle­mands. Des épouses d’hommes arrê­tés sont alors allées trou­ver le maire (non pas élu, mais dési­gné par le gouver­ne­ment du Maré­chal Pétain), Raymond Puech, patron d’une petite entre­prise de trans­port. Celui-ci a alors enfilé son écharpe trico­lore de maire et ses médailles de la « Grande Guerre » (il avait fait en effet la guerre de 1914–1918 et avait été décoré à Verdun) et est allé trou­ver les Alle­mands, d’un pas assuré et leur a parlé avec auto­rité, ce qui les a impres­sionné. Grâce à son inter­ven­tion person­nelle, la « rafle » de Maurs ne s’est pas termi­née tragique­ment. Le lende­main matin, en ouvrant les persiennes de son appar­te­ment du 4 avenue de la Gare à Maurs il a été ému de voir qu’a­vait été tracé à la pein­ture blanche en plein milieu de la rue, en carac­tères énormes, ce simple mot :  » M E R C I « … Comme quoi, même des maire dési­gnés par le Gouver­ne­ment de Vichy ont pu avoir un compor­te­ment héroïque !…

Mais, repre­nons main­te­nant le témoi­gnage de Madame Denise Dede­nis :

« Je suis allé vers le deuxième offi­cier alle­mand et Monsieur Raymond Puech. J’ai expliqué à l’of­fi­cier ce que je venais faire. Monsieur Puech a expliqué que mon père était âgé, qu’il avait eu un acci­dent et marchait diffi­ci­le­ment avec une canne. Cet offi­cier a donné l’au­to­ri­sa­tion de relâ­cher mon père. Mais, en contre­par­tie il a ordonné que Juliette et moi allions éplu­cher des pommes de terre. Je lui parle alors de ma très jeune fille à nour­rir et alors le jeune soldat alsa­cien est inter­venu en alle­mand pour prendre ma défense avec un air auto­ri­taire que je ne lui soupçon­nais pas !… Il a réussi à convaincre l’of­fi­cier de me relâ­cher et Juliette est allée seule éplu­cher les pata­tes…

J’ai poussé un « OUF » de soula­ge­ment !!!… ayant fait une ving­taine de mètres un groupe de femmes escor­tées par d’autres soldats alle­mands nous croise. Un troi­sième offi­cier me fait signe de faire demi-tour et de les suivre !… Le jeune Alsa­cien a de nouveau pris la parole en alle­mand pour me défendre. Je n’ai pas compris ce qu’il a dit mais cela a porté ses fruits puisque l’of­fi­cier m’a laissé partir. A ce moment trois jeunes filles qui se trou­vaient dans le groupe m’ont supplié, en pleu­rant, d’al­ler rassu­rer leurs parents qui se trou­vaient dans des roulottes à la place du Champ de Foire (actuelle place de l’Eu­rope). Me revoilà devant la barrière du début de la route de Bagnac. Je quitte donc ce jeune Alsa­cien si sympa­thique en lui disant de faire atten­tion à ce qu’il n’ait pas d’en­nui avec les « vrais » Alle­mands, et je le remer­cie. Il me quitte en me disant : « Je n’ai fait que mon devoir, même si je porte l’uni­forme des SS, je reste malgré tout un Français !… »

Mon père se dirige vers notre maison tandis que je file à la place du Champ de Foire. Je m’aperçois que je suis suivie par deux soldats alle­mands en arme… J’ai beau frap­per aux fenêtres de toutes les roulottes, personne ne me répond. Il est vrai qu’a­vec mon « escorte » ce n’est pas éton­nant… Alors je me suis mise à hurler que les Alle­mands avaient emmené leurs trois filles mais qu’ils les relâ­che­raient à midi. j’ai vu bouger des rideaux, le message était passé…

Je suis repar­tie et là mes deux cerbères m’ont enfin lâchée. J’ar­rive chez ma mère et lui explique que je dois partir vite attra­per un train et préve­nir le Maquis de Biars. A la gare de Maurs il y avait juste­ment à l’ar­rêt un train de marchan­dises en prove­nance de Figeac et se diri­geant vers Aurillac avec un wagon de soldats alle­mands. Je me suis faufi­lée discrè­te­ment derrière le dernier wagon où il y avait une échelle en fer. Je l’ai emprun­tée pour monter à la pointe d’une vigie. A la gare de Vies­camp-sous-Jallès j’ai pu descendre du train et en prendre un autre, venant d’Au­rillac et se diri­geant vers Laroque­brou et Saint-Denis-Près-Martel. Je suis descen­due à la gare de Brete­noux-Biars pour préve­nir le Maquis de l’ar­ri­vée immi­nente de la Divi­sion alle­mande. De jeunes Maqui­sards ont reçu l’ordre d’en­ga­ger le combat pour retar­der le plus possible les soldats alle­mands, pendant que le gros du Maquis se reti­rait plus loin. Nous les connais­sions à peine, ils ont tous payé de leur vie ce combat déses­péré contre la Divi­sion SS Das Reich. Tous étaient des gosses âgés de vingt ans… » Signé : Denise Dede­nis.

Roger le Canta­lien.

 Site : http://maqui­sard­sde­france.jeun.fr/t9571-deces-de-mme-dede­nis-15

 Merci à Patrick Char­ron !

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