LES MALGRE-NOUS ET LA GRECE

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Le 11 juin 2012 s’est tenue à l’Ecole Française d’Athènes une confé­rence donnée par Laeti­tia Marchand sur le thème des Malgré-Nous.

On trou­vera ci-dessous le programme de cette confé­rence et le texte de Laeti­tia Marchand.

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MUSIQUE D’OUVERTURE : arran­ge­ments au piano.
VIKA et LINDA « These Hands »
EIS BLUME « Für Immer »
SERGEI DUKACHEV « Vision Fugi­tive Op 22 n°4 »

VIDEO D’OUVERTURE : « LES MALGRE NOUS » de SOPHIE NAU.

PROGRAMME DE LA CONFERENCE :

INTRODUCTION

Ière PARTIE : DE L’ANNEXION A L’INCORPORATION.

1– Rappel histo­rique : Spéci­fi­cité géogra­phique de l’Al­sace et de la Moselle.
2– 1940 : Annexion de fait – Proces­sus de germa­ni­sa­tion et de nazi­fi­ca­tion.
3– 1942 : L’in­cor­po­ra­tion de force.

IIème PARTIE : DES CAMPS DE CONCENTRATION A LA LIBERATION.

1– Déser­tion sur le front russe et camp de concen­tra­tion.
2– Le sort des captifs Malgré nous après la guerre.
3– Le diffi­cile retour après la guerre.

IIIème PARTIE : L’APRES GUERRE ET LA DIFFICILE HISTORICISATION.

1– Drame d’Ora­dour sur Glane – Procès de Bordeaux.
2– Une histoire refou­lée.
3– Le temps des reven­di­ca­tions.

CONCLUSION

LECTURE DU POEME « MALGRE NOUS » d’Emi­lienne CONREUX-HERBETH par Marie-Chris­tine BOSSIS.

TEMOIGNAGE ENREGISTRE D’UN MALGRE NOUS : Monsieur Alfred BIACHE, présenté par sa fille Nataly et sa petite fille Rosanna.

EN OPTION DEGUSTATION DE MUSCAT D’ALSACE de la Cave Paul BLANCK.

Les « Malgré-nous » et l’hon­neur du soldat.

La malé­dic­tion qui pesait sur leur province
A jeté les Alsa­ciens dans les armées du « mal »
Ces armées qu’il aurait fallu combattre
Pour libé­rer leur pays, pour réta­blir la paix
Le destin en avait décidé autre­ment
Sous la menace d’im­pi­toyables repré­sailles
On les a incor­po­rés, malgré eux, dans les rangs honnis
Traî­nés au front, les armes à la main
Acteurs invo­lon­taires, obli­gés de défendre leur vie
Ils ont payé un lourd tribut
Ceux qui sont reve­nus du massacre
Sont rentrés meur­tris et amers
Ils ont subi les vicis­si­tudes de la guerre
Mais furent privés de l’hon­neur du soldat.
Pour des raisons poli­tiques ils deviennent « Anciens Combat­tants »
Du bout des lèvres « Victimes de guerre »

Mais le cœur n’y était pas; pour­tant un jour
Leur funeste saga s’ins­crira plei­ne­ment
Dans l’His­toire de France.
Jean-Pierre APPRILL

ETUDE ET PRESENTATION – Laëti­tia Marchand.

Laëti­tia est membre de notre Amicale depuis novembre 2011 et travaille depuis un peu plus d’un an en VIE à Athènes au Groupe Crédit Agri­cole de la Banque Empo­riki.
En 2007, elle est diplô­mée en « Histoire Contem­po­raine » Master I, mention « Bien », major de promo­tion à l’Uni­ver­sité Paul Valéry III de Mont­pel­lier et en 2010, elle sera titu­laire d’un Master II en « Carrières commer­ciales de la Banque/Assu­rance », mention « Bien » à l’Uni­ver­sité d’Au­vergne de Cler­mont Ferrand.

SYNCHRONISATION ET IMAGES ET SON – Michèle Leoni­do­pou­los et Mireille Tsit­si­ris.

ASSISTANCE TECHNIQUE – Philippe Rotse­tis.

DEGUSTATION – Muscat d’Al­sace Paul Blanck.
Distri­bué par Beta­plan, M. Takis Tava­nio­tis Tél. 2107250196.

REMERCIEMENTS

A la Direc­tion de l’Ecole Française d’Athènes.

Au Mémo­rial de l’Al­sace Moselle à Schir­meck (Bas-Rhin) pour la docu­men­ta­tion.

A Made­moi­selle Alice Fischer qui porte le costume du XIXème siècle du Pays de Hanau (Bas-Rhin).

Aux membres de l’Ami­cale des Alsa­ciens et Amis de l’Al­sace en Grèce qui ont parti­cipé.

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Ci-dessus : Michele Leoni­do­pou­los, prési­dente de l’Ami­cale.

Les « Malgré Nous » : histoire de l’in­cor­po­ra­tion de force des Alsa­ciens-Mosel­lans dans l’ar­mée alle­mande durant la seconde guerre mondiale, par Laetita Marchand

Intro­duc­tion

Evène­ment globa­le­ment méconnu en France, à l’ex­cep­tion bien sûr de l’Al­sace et de la Moselle, l’his­toire des Malgré-nous consti­tue pour une large part au parti­cu­la­risme régio­nal de ces trois dépar­te­ments.
Ces « Malgré-nous » repré­sen­tèrent une véri­table excep­tion dans l’his­toire de France du XXème siècle. L’en­rô­le­ment de force de Français en masse au sein d’uni­tés étran­gères consti­tua, en effet, un cas unique. Pour­tant, l’in­té­rêt pour cette histoire ne fut pas immé­diat. Dès la fin du second conflit mondial, l’his­toire des « Malgré-nous » se trouva enta­chée de vifs senti­ments exacer­bés et déchaîne, encore aujourd’­hui, les passions.

L’ex­pres­sion même de « Malgré-nous » ne peut qu’é­veiller la curio­sité. Celle-ci a évolué au cours des temps et a dési­gné des groupes diffé­rents. Son origine remon­te­rait à 1872. L’Al­sace et la Lorraine étaient alors annexées de droit au Reich depuis 1871. Et les Alsa­ciens-Mosel­lans se devaient d’ef­fec­tuer leur service mili­taire dans l’ar­mée alle­mande. Ils se dési­gnaient alors comme des Müss Preusse, des « Prus­siens malgré-eux ». Au cours de la Première Guerre mondiale, 380 000 Alsa­ciens et Mosel­lans furent mobi­li­sés dans l’ar­mée alle­mande. A la suite de cette guerre sanglante, durant laquelle l’Al­sace et la Moselle virent périr 50 000 des siens, les trois dépar­te­ments réin­té­grèrent l’es­pace français. En 1919, l’as­so­cia­tion dite des « Malgré-nous » est créée en Moselle, sous l’im­pul­sion d’An­dré Bellard ancien combat­tant dans l’ar­mée française qui s’in­té­res­sait vive­ment à ces Mosel­lans, incor­po­rés et ayant combattu à leur corps défen­dant sous le drapeau alle­mand durant la guerre 1914–1918. L’ex­pres­sion « Malgré-nous » ne dési­gnait donc, initia­le­ment, que les Mosel­lans ayant combattu dans l’ar­mée alle­mande et non pas les Alsa­ciens. Ce n’est que par la suite, au cours du second conflit mondial, que l’ex­pres­sion s’éten­dit à ces derniers.

Quant à l’ex­pres­sion « Incor­po­rés de force », ce n’est qu’à la fin de la guerre 1939–1945 que cette dernière fut utili­sée. C’est, en effet, sous ce vocable que le gouver­ne­ment dési­gna désor­mais les « Malgré-nous » enrô­lés de force durant la Seconde Guerre mondiale. Cette expres­sion possède donc une conno­ta­tion plus offi­cielle. Celle de « Malgré-nous » a cepen­dant pris une exten­sion plus large au sein de l’opi­nion.

Depuis quelques années déjà, et ceci grâce à la résur­gence de sources histo­riques, l’his­toire des « Malgré-nous » tend à se réap­pro­prier progres­si­ve­ment la place qui lui est due dans l’his­toire de la seconde guerre mondiale.

La confé­rence d’aujourd’­hui vise donc à présen­ter l’his­toire de ces « Malgré-nous », depuis leur incor­po­ra­tion forcée en 1942 jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale.

I/ Première Partie : De l’an­nexion à l’in­cor­po­ra­tion

1. Rappel histo­rique : spéci­fi­cité géogra­phique de l’Al­sace et de la Moselle


Support visuel : Cartes histo­riques 1871–1919–1940–1944

Ces deux régions fron­ta­lières consti­tuèrent un enjeu terri­to­rial capi­tal disputé par la France et l’Al­le­magne, et ce depuis 1871. Ce fut, en effet, la victoire alle­mande qui créa la ques­tion de l’Al­sace. Au total, les Alsa­ciens-Mosel­lans chan­gèrent quatre fois de natio­na­lité en l’es­pace de …75 ans ! Ainsi, nés Français sous le Second empire, ils devinrent alle­mands en 1871, puis à nouveau Français en 1919, Alle­mands en 1940 et enfin, défi­ni­ti­ve­ment Français à la Libé­ra­tion, en 1944. Les habi­tants des trois dépar­te­ments ne furent jamais consul­tés sur ces chan­ge­ments de natio­na­li­tés qui s’ac­com­pa­gnèrent chaque fois de souf­frances, de drames, de senti­ments d’aban­don… et inévi­ta­ble­ment d’in­com­pré­hen­sion.
L’his­toire de l’Al­sace et de la Moselle ressemble fina­le­ment à toutes ces popu­la­tions fron­ta­lières déchi­rées entre deux patries, contraintes d’aban­don­ner une culture au profit de l’autre, sans jamais pouvoir conci­lier les deux, selon l’évo­lu­tion contex­tuelle. Les « Malgré-nous » en sont le symbole le plus fort même si l’in­cor­po­ra­tion de force demeure un phéno­mène globa­le­ment peu connu hors de l’Al­sace et de la Moselle.

2. 1940 : annexion de fait/proces­sus de germa­ni­sa­tion et de nazi­fi­ca­tion

Le 1 er septembre 1939, l’Al­le­magne enva­hit la Pologne. Aussi­tôt, la France mobi­lise ses troupes. L’éva­cua­tion totale de la zone fron­ta­lière d’Al­sace et de Moselle sur une dizaine de kilo­mètres de profon­deur est ordon­née. Plus de 600 000 Alsa­ciens et Mosel­lans sont contraints de partir, en empor­tant le strict mini­mum, lais­sant derrière eux maisons et biens. Ils sont diri­gés vers des dépar­te­ments d’ac­cueil comme la Charente, la Vienne, la Dordogne … Cet exode durera jusqu’à juillet 1940, date à laquelle les évacués sont rapa­triés par les auto­ri­tés alle­mandes.

La conven­tion d’ar­mis­tice de 1940 ne précise dans aucune de ses clauses, le sort qui serait réservé à l’Al­sace et à la Moselle. Pour­tant, les Alle­mands occupent sans tarder les trois dépar­te­ments du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et dès juillet 1940, la fron­tière de Franc­fort est réta­blie. L’Al­sace est ratta­chée au Pays de Bade et la Moselle au Gau de Sarre-Pala­ti­nat. Les deux régions sont diri­gées par les Gaulei­ter Wagner (Alsace) et Bürckel (Moselle), dotés des pleins pouvoirs.

Très vite, ils orga­nisent le retour des popu­la­tions évacuées. Mais tous ne rentrent pas. Certains préfèrent rester en France, d’autres jugés indé­si­rables, sont refou­lés à la fron­tière. On estime à envi­ron 207 000, le nombre des alsa­ciens et mosel­lans non rentrés en 1940. Paral­lè­le­ment, les alle­mands libèrent les prison­niers de guerre origi­naires de ces régions.
La germa­ni­sa­tion inter­vient dans tous les domaines de la vie quoti­dienne : il est inter­dit de parler français, la presse française mais aussi la monnaie et les timbres français dispa­raissent. Dès juillet, on germa­nise les enseignes des maga­sins et les plaques de rue, mais aussi les noms de villes et villages, les noms et prénoms, on débou­lonne les statues françaises, on germa­nise les monu­ments aux morts, on supprime les asso­cia­tions, l’évê­ché de Stras­bourg et de Metz, on épure les biblio­thèques des ouvrages français…Toute trace française doit dispa­raître.

Cette germa­ni­sa­tion passe égale­ment par l’ex­pul­sion pure et simple de tous les indé­si­rables et de tous les éléments jugés « non germa­ni­sables » : juifs, nord-afri­cains, asia­tiques, natu­ra­li­sés français puis plus large­ment fran­co­philes et fran­co­phones. La Moselle perdit alors plus de 100 000 habi­tants et l’Al­sace 35 000.

Mais les Gaulei­ter souhaitent davan­tage qu’une inté­gra­tion admi­nis­tra­tive et écono­mique des provinces au Reich. Leur but est de faire de l’Al­sace et de la Moselle des terri­toires nazis. Aussi, le parti s’im­plante et les orga­ni­sa­tions quadrillent l’es­pace social et poli­tique. L’ap­pa­reil répres­sif et poli­cier se met en place dans les terri­toires annexés.

La popu­la­tion toute entière se trouve enser­rée dans le maillage nazi. Les orga­ni­sa­tions de masse embri­gadent la popu­la­tion par âge, sexe et profes­sion. L’en­sei­gne­ment, la culture, l’église ou les loisirs sont aux mains des auto­ri­tés nazies.

3. 1942 : L’in­cor­po­ra­tion de force

Aucun traité de paix, à la suite de l’ar­mis­tice du 22 juin 1940, n’avait réglé la ques­tion de l’ap­par­te­nance de l’Al­sace et la Moselle. Par consé­quent, en droit inter­na­tio­nal, ces trois dépar­te­ments de l’Est conti­nuaient de faire partie inté­grante de la France. De ce fait, il était donc juri­dique­ment impos­sible d’in­cor­po­rer les Alsa­ciens et les Mosel­lans dans l’ar­mée alle­mande. De surcroît, après l’in­tro­duc­tion du Reich­sar­beits­dienst (RAD service du travail du Reich, qui était en fait une prépa­ra­tion mili­taire obli­ga­toire pour les jeunes filles et garçons) en avril 1941, la popu­la­tion assiste à l’in­tro­duc­tion tant redou­tée du service mili­taire obli­ga­toire.

Les décrets du 19 août 1942 pour la Moselle et du 25 août pour l’Al­sace contraignent désor­mais les jeunes alsa­ciens et mosel­lans à être incor­po­rés dans l’ar­mée Alle­mande. Mais préa­la­ble­ment, les Gaulei­ter doivent régler la ques­tion de la natio­na­lité des conscrits. En Alsace, le 23 août, paraît une ordon­nance qui octroie la natio­na­lité alle­mande à certains alsa­ciens (ceux qui avaient été appe­lés à faire leur service mili­taire et ceux qui furent recon­nus comme alle­mands), et en Moselle, Bürckel accorde la natio­na­lité alle­mande à 98% des lorrains de souche rendant ainsi appli­cable l’or­don­nance sur le service mili­taire obli­ga­toire.

Dès les premiers jours, des inci­dents ont lieu : les conscrits ne se rendent pas aux conseils de révi­sion ou s’y rendent mais en chan­tant la Marseillai­se… La répres­sion se durcit : les réfrac­taires sont arrê­tés et leurs familles, trans­plan­tées dans le Reich (envi­ron 10 000 mosel­lans et 3500 Alsa­ciens trans­plan­tés).

Au total, 21 classes d’âge repré­sen­tant 100 000 Alsa­ciens et 30 000 Mosel­lans seront incor­po­rées de force. La grande majo­rité sera envoyée sur le front russe, mais on trou­vera aussi des incor­po­rés de force dans les Balkans ou en Italie. En Alsace, certains hommes mobi­li­sés entre février et mai 1944 ne seront pas incor­po­rés dans la Wehr­macht mais dans les Waffen SS (envi­ron 2000)

Il y eut égale­ment des Malgré-elles parmi les femmes origi­naires d’Al­sace et de Moselle qui, à l’ins­tar des Malgré-nous, ont été enrô­lées de force dans diffé­rentes struc­tures nazies durant la période de 1942 à 1945 : dans le RAD (Reich­sar­beits­dienst ou service natio­nal du travail), dans le KHD (Krieg­shilf­sdienst ou service auxi­liaire de guerre pour les femmes) et dans l’ar­mée régu­lière alle­mande, la Wehr­macht. Celles-ci furent égale­ment envoyées en Alle­magne pour rempla­cer les hommes aux champs, à l’usine, dans les admi­nis­tra­tions, mais aussi dans la défense anti­aé­rienne. Leur histoire a long­temps été oubliée. De 1942 à 1945, elles ont été plus de 15 000 à partir, âgées de 17 à 20 ans, dissé­mi­nées un peu partout dans le Reich. Elles furent parquées dans des baraque­ments de bois, en pleine montagne. Les chef­taines y faisaient régner une disci­pline de fer. Toute la jour­née, les filles travaillaient dure­ment dans des fermes pour rempla­cer la main-d’œuvre mascu­line partie à la guerre. Le soir, elles assis­taient à des cours de « réédu­ca­tion poli­tique »: on leur appre­nait la biogra­phie d’Hit­ler, on leur proje­tait des films de propa­gan­de… L’objec­tif était clair: nazi­fier cette jeunesse alsa­cienne et mosel­lane. Ce fut égale­ment le cas de nombreuses femmes origi­naires de Belgique (cantons de l’Est et Pays d’Ar­lon) et du Luxem­bourg. Leur situa­tion a été long­temps igno­rée et ce n’est que le 17 juillet 2008 qu’un accord d’in­dem­ni­sa­tion a été conclu entre le secré­taire d’État aux Anciens Combat­tants et le président de la Fonda­tion entente franco-alle­mande, gérante des fonds versés par les auto­ri­tés alle­mandes, au titre de dédom­ma­ge­ment moral aux Malgré-nous.

Sur les 130 000 Mosel­lans et Alsa­ciens incor­po­rés de force dans l’ar­mée alle­mande pendant la Seconde Guerre mondiale, 15 000 envi­ron ont servi dans la Krieg­sma­rine, vivant les épisodes épiques et tragiques des combats sur mer et sous mer.

II/ Deuxième Partie : Des camps de concen­tra­tion à la Libé­ra­tion

1. Déser­tion sur le front russe et camp de concen­tra­tion

Parmi les Français Alsa­ciens-Mosel­lans en uniforme vert-de-gris, certains réus­sirent à s’éva­der vers les lignes russes ; ceux-ci, comme la plupart des autres prison­niers de guerre de l’Ar­mée Rouge, connurent chez les « alliés » une singu­lière capti­vité dans les camps du Goulag sovié­tique. Les Sovié­tiques n’avaient, dans leur grande majo­rité, pas connais­sance du drame de ces Alsa­ciens et Lorrains. Beau­coup furent donc consi­dé­rés comme des déser­teurs ou des espions et donc fusillés, victimes d’une double méprise. Les autres ont été dépor­tés au camp de Tambov après un passage dans les mines de char­bon de Kara­ganda. Celui-ci regroupa une grande partie des prison­niers d’Al­sace et Moselle, soit envi­ron 18000 hommes. Les Malgré nous subirent le sort de tous les prison­niers de la Wehr­macht, avec des condi­tions de vie très dures, un taux de morta­lité élevé et des campagnes de réédu­ca­tion anti­fas­ciste. À Tambov, les condi­tions de déten­tion sont effroyables. Les prison­niers y survivent dans une effa­rante promis­cuité et dans une hygiène déplo­rable, à l’abri de baraques creu­sées à même le sol pour mieux résis­ter au terrible hiver russe où la tempé­ra­ture descend en dessous de –30 °C. Un peu de soupe claire et envi­ron 600 grammes de pain noir, presque imman­geable, consti­tuent la ration jour­na­lière. On estime qu’en­vi­ron un homme sur deux mourait à Tambov après une durée moyenne d’in­ter­ne­ment infé­rieure à quatre mois.
Libé­rés en grande majo­rité durant l’au­tomne 1945, une partie des « malgré-nous » passe pour­tant plusieurs années supplé­men­taires en capti­vité. Accu­sés de crimes de guerre par les Sovié­tiques, ils se sentent trahis par la France Libre, et utili­sés comme monnaie d’échange dans les négo­cia­tions diplo­ma­tiques. Certains iront jusqu’à évoquer l’in­ter­ven­tion de diri­geants commu­nistes français afin de retar­der leur retour, tant le témoi­gnage de leur expé­rience terni­rait l’image de l’Union sovié­tique.
Sur le front occi­den­tal, certains se rendirent à l’ar­mée améri­caine après avoir déserté, pensant se rendre aux libé­ra­teurs de la France. Ils déchan­tèrent rapi­de­ment en compre­nant qu’ils étaient consi­dé­rés non comme des insou­mis mais comme des déser­teurs de l’ar­mée alle­mande. Ils furent envoyés dans des camps dans l’ouest de la France, aux côtés de prison­niers alle­mands qui ne cachaient pas leur mépris pour ces traîtres à la patrie. A l’hu­mi­lia­tion de la double défaite, celle de la France de 1940 et celle de l’Al­le­magne de 1944, s’ajou­tait l’hu­mi­lia­tion de la double trahi­son suppo­sée, celle de la France de de Gaulle et celle de l’Al­le­magne de Hitler.

2. Le sort des captifs malgré nous après la guerre

La guerre finie, débute la lente et diffi­cile procé­dure de rapa­trie­ment. Malgré l’ac­cord franco-sovié­tique signé en 1945 et l’en­voi d’une mission française à Moscou, les blocages se multi­plient, qu’ils soient liés à la complexité du dossier pour les Sovié­tiques (comment trier les Alsa­ciens-Lorrains des Alle­mands, les « Malgré-Nous » des colla­bo­ra­teurs ?), à la réten­tion d’in­for­ma­tions, aux réti­cences à se sépa­rer d’une utile main d’œuvre quasi gratuite, ou aux enjeux diplo­ma­tiques. Moscou exige en effet le rapa­trie­ment réci­proque des citoyens sovié­tiques (mais bien souvent émigrés « blancs » ou origi­naires de terri­toires récem­ment annexés par l’URSS, baltes et polo­nais notam­ment) qui se trouvent en France ou dans la zone française d’Oc­cu­pa­tion en Alle­magne et en Autriche, et qui, s’ap­puyant sur une réso­lu­tion de l’ONU, refusent ce retour forcé. D’autre part, à la Libé­ra­tion, le Géné­ral de Gaulle n’in­ter­vient que molle­ment en leur faveur, ne voulant mécon­ten­ter ni les commu­nistes français très puis­sants, ni Staline avec qui il envi­sage certaines alliances poli­tiques.

Un nombre indé­fini de jeunes Alsa­ciens-Mosel­lans ne revinrent jamais dans leurs foyers. Ainsi, le sort de beau­coup d’entre eux resta un mystère. En effet, la capti­vité des « Malgré-nous » en URSS, au cours et à la fin du second conflit mondial, consti­tua, jusque dans les années 1990, un pan rela­ti­ve­ment mal connu de l’his­toire du dernier demi-siècle, sinon dans les trois dépar­te­ments de l’Est, où elle stig­ma­ti­sait le destin parti­cu­lier, doulou­reux et toujours très vifs dans les mémoires de ces géné­ra­tions d’hommes, qui après avoir subi le joug de l’oc­cu­pant nazi, firent la cruelle expé­rience de la déten­tion dans les camps stali­niens. Or, maintes fois, la ques­tion de l’exis­tence de dossiers déte­nus à Tambov avait été posée. Et ce n’est qu’à partir des années 1990, que des réponses furent appor­tées. Avec la dislo­ca­tion du bloc sovié­tique, en 1991, naquît l’es­poir d’un regard nouveau sur la ques­tion de l’in­cor­po­ra­tion de force. Progres­si­ve­ment, les archives sovié­tiques s’ou­vrirent au monde occi­den­tal.

Offi­ciel­le­ment, le dernier malgré-nous libéré fut Jean-Jacques Remet­ter en 1955. Mais selon les archives mili­taires russes, la dernière amnis­tie pour crimes de guerre en URSS date de juin 1953. Par cette amnis­tie ont été libé­rés 23 Français condam­nés par les tribu­naux sovié­tiques mais 5 ne l’ont pas été vu la gravité de leur crime et sont restés en URSS jusqu’à 1961. Jean-Jacques Remet­ter ne fut donc pas le dernier Français libéré par les sovié­tiques.

3. Le diffi­cile retour après la guerre

Très vite, les scènes de liesse de la Libé­ra­tion firent place à l’épu­ra­tion, aux procès et aux inter­ne­ments admi­nis­tra­tifs. Il est certain qu’au lende­main de la Seconde Guerre mondiale, la France se trouva plon­gée dans les règle­ments de compte. La « chasse » aux colla­bo­ra­teurs était lancée. Ce contexte violent entraîna un climat de suspi­cions. Celui-ci fut d’au­tant plus aggravé en Alsace et en Moselle. Car la ques­tion était de savoir qui avait été volon­taire et qui ne l’avait pas été. Dans cette ambiance, tendue, malsaine, les « Malgré-nous » n’osèrent donc pas se faire iden­ti­fier de peur d’être assi­mi­lés à des colla­bo­ra­teurs, à des traîtres. La crainte était donc pour ces Incor­po­rés de force, d’être confon­dus avec la Légion des Volon­taires Français (LVF). La majo­rité des Alsa­ciens adhéra, contrainte et forcée, aux diverses asso­cia­tions nazies ou prêta serment de fidé­lité au Führer. Il le fallait pour pouvoir vivre au quoti­dien, pour­suivre des études, ne pas perdre son travail, ne pas paraître suspect aux yeux du parti ou éviter d’être dénoncé par un fana­tique nazi. Tout était obli­ga­tion, tout était sanc­tion. Les camps de Schir­meck et du Stru­thof, les trans­plan­ta­tions de familles entières, la Gestapo, les arres­ta­tions et les exécu­tions rappe­laient aux Alsa­ciens et Mosel­lans que les nazis avaient les moyens de les contraindre à se soumettre ou, du moins, à « parti­ci­per ».

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Ci-dessus : La confé­ren­cière Laeti­tia Marchand.

III/ Troi­sième Partie : l’après guerre et la diffi­cile histo­ri­ci­sa­tion

1. Procès de Bordeaux/drame d’Ora­dour sur Glane

Un événe­ment horrible se produi­sit, trau­ma­ti­sant les esprits et deve­nant pour toujours le symbole de la barba­rie nazie. En effet, parmi tous les crimes nazis de la Seconde Guerre mondiale, le massacre de six cent quarante-deux hommes, femmes et enfants à Oradour-sur-Glane par des soldats de la SS, fut certai­ne­ment l’un des plus connus au monde. Le 10 juin 1944, quelques jours seule­ment après le débarque­ment des alliés, dans l’après-midi, les SS encer­clèrent le bourg d’Ora­dour, situé dans les collines du Limou­sin. Ils rassem­blèrent les habi­tants sur le champ de foire, puis sépa­rèrent les hommes des femmes et des enfants. Les hommes furent conduits dans les granges avoi­si­nantes, alignés et fusillés. Les femmes et les enfants furent enfer­més dans l’église qui fut incen­diée ainsi que le reste du bourg. Les habi­tants, qui étaient absents ce jour-là ou qui avaient échappé à l’en­cer­cle­ment, retrou­vèrent une scène d’hor­reur, de carnage et de dévas­ta­tion.

En quoi ce drame est-il lié à l’his­toire des « Malgré-nous » ? Une enquête révéla que 14 Alsa­ciens qui appar­te­naient à la 3ème Compa­gnie du régi­ment Der Führer, de la divi­sion Das Reich, faisaient partie des coupables. Plus de huit ans après le massacre, au début de l’an­née 1953, le procès attendu des 21 soldats ayant parti­cipé au massacre d’Ora­dour commença devant le tribu­nal mili­taire de Bordeaux. Ce procès boule­versa profon­dé­ment les esprits. Lorsqu’il débuta, le gouver­ne­ment pensait, depuis la fin de la guerre, à récon­ci­lier les Français en effaçant les traces de colla­bo­ra­tion de nombreux citoyens. Or, ce procès mit à jour les divi­sions passées et rendit diffi­cile la récon­ci­lia­tion natio­nale. Le procès de Bordeaux se déroula dans un climat diffi­cile. La décou­verte de Français parmi les auteurs du crime provoqua l’in­di­gna­tion, l’in­com­pré­hen­sion et la colère. La plupart des Français n’était pas au courant de l’in­cor­po­ra­tion de force et lors du procès, celle-ci se révéla sous sa forme la plus abjecte : à travers le drame d’Ora­dour. Le fait qu’il y ait eu des « Malgré-nous » rendit diffi­cile, presque impos­sible, la cause qu’ils défen­daient, à savoir d’être recon­nus en tant que victimes. La ques­tion qui déchaîna les esprits fut de savoir s’il fallait juger ces Alsa­ciens au même titre que les Alle­mands. Devait-on faire la distinc­tion entre « volon­taires » (à savoir les Alle­mands et l’Al­sa­cien) et « Incor­po­rés
de force » ? Le débat dépassa très vite les fron­tières de la justice. Dès avant le procès, une loi fut votée le 15 septembre 1948. Celle-ci modi­fiant et complé­tant l’or­don­nance rela­tive à la répres­sion des crimes de guerre intro­dui­sit la notion de respon­sa­bi­lité collec­tive de tous ceux qui faisaient partie d’une forma­tion ayant accom­pli un crime de guerre. Il s’agis­sait là d’une loi inique qui violait deux prin­cipes fonda­men­taux du droit français : elle était rétro­ac­tive et obli­geait l’ac­cusé à prou­ver son inno­cence, ce qui était tout à fait inac­cep­table pour les Alsa­ciens. Ainsi, les leurs étaient trai­tés de la même façon que les nazis, ces mêmes nazis qui les avaient forcés quelques années aupa­ra­vant à revê­tir l’uni­forme alle­mand. Certes, cette loi fut vite abro­gée mais il n’em­pêche que le procès suscita un « drame natio­nal » : l’af­fron­te­ment de deux mémoires. Le procès de Bordeaux fut l’oc­ca­sion d’un affron­te­ment entre deux régions françaises et deux mémoires régio­nales de la guerre diffé­rentes. Les Limou­sins ne voulaient rien savoir de la situa­tion des Alsa­ciens, durant la guerre, et n’étaient guère prêts à faire la distinc­tion Alsa­ciens-Alle­mands. Lorsque le procès débuta, des dépu­tés alsa­ciens et des asso­cia­tions prirent immé­dia­te­ment la défense des « Malgré-nous » incul­pés et plai­dèrent la cause de l’Al­sace et sa situa­tion parti­cu­lière pendant la guerre.

Au nom de l’unité natio­nale, le tribu­nal tran­cha. Après avoir condamné les accu­sés alsa­ciens à des peines de 5 à 12 ans, celles-ci furent commuées en amnis­tie. Pour parve­nir à un verdict, les juges durent, en effet, faire le choix entre recon­naître les « Malgré-nous » et respec­ter la peine des familles d’Ora­dour et le désir de vengeance du Limou­sin. En accor­dant l’am­nis­tie des alsa­ciens, elle choi­sis­sait le pardon dans l’in­té­rêt de la commu­nauté natio­nale. Cette amnis­tie provoqua un tollé tant du côté alsa­cien que du côté limou­sin. Pour les uns, l’am­nis­tie était trop légère, pour les autres, elle était inad­mis­sible. Seule une réha­bi­li­ta­tion aurait pu satis­faire l’opi­nion publique alsa­cienne indi­gnée devant l’in­com­pré­hen­sion mani­fes­tée par la plupart des Français face au problème des « Malgré-nous ».

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Ci-dessus : Alice Fischer dans le costume tradi­tion­nel du pays de Hanau (Vosges du Nord, Bas-Rhin)

2. Une histoire refou­lée

Dans la période post-seconde guerre mondiale, l’Union des Répu­bliques Socia­listes Sovié­tiques (URSS) était consi­dé­rée par la plus grande partie de l’opi­nion natio­nale comme une alliée. Le seul ennemi de la démo­cra­tie, c’était le nazisme. Or, lorsqu’à leur retour, les Incor­po­rés de force tentèrent de racon­ter les horreurs commises par l’ar­mée rouge dans les camps de concen­tra­tion sovié­tiques, personne ne voulut les écou­ter. La suspi­cion à leur égard était beau­coup trop grande. Après tout, n’avaient-ils pas porté l’uni­forme alle­mand ? D’ailleurs, lorsqu’à leur retour, ils furent inter­ro­gés à Chalon-sur-Saône et qu’ils racon­tèrent leurs épou­van­tables condi­tions d’in­ter­ne­ment, et les efforts des Sovié­tiques pour former parmi eux des espions, ils ne furent pas pris au sérieux. Cette suspi­cion perpé­tuelle à leur égard finit par les faire taire. Puisqu’on ne les croyait pas, à quoi servait- il qu’on raconte ce que l’on a vécu ? D’au­tant plus qu’a­vant d’être libé­rés des camps, les Sovié­tiques les avaient mena­cés. On stig­ma­tisa les « Malgré-nous » à l’état de traître.

L’opi­nion publique culpa­bi­li­sait les Incor­po­rés de force : pourquoi vous êtes vous lais­sés faire passi­ve­ment ? Qu’a­vez-vous fait pour être encore en vie ? Certains d’entre eux allaient même jusqu’à leur repro­cher d’avoir mis en danger les leurs et les accu­ser d’avoir obéi à des objec­tifs inté­res­sés.

Ce climat de suspi­cions abou­tit irré­mé­dia­ble­ment à la margi­na­li­sa­tion des « Malgré-nous » qui se sentaient incom­pris. La majeure partie des « Français de l’In­té­rieur » igno­rait tout de l’in­cor­po­ra­tion de force. En effet, la popu­la­tion ne réali­sait peut-être pas ce que sous-tendait une annexion. Eux, avaient connu une occu­pa­tion en 1940, les Alsa­ciens et les Mosel­lans, une annexion de fait. Les « Français de l’In­té­rieur » devaient plus ou moins compo­ser avec l’ordre nazi en place. Mais, les Alsa­ciens-Mosel­lans subis­saient, eux, le tota­li­ta­risme nazi. Il y avait donc une diffé­rence de taille. Mais, il est certain qu’a­près la guerre, il était diffi­cile de se faire une idée de ce qu’é­tait une annexion. Cela étant, il est aisé de comprendre que l’igno­rance et les soupçons éprou­vés par la majeure partie des Français contri­bua à lais­ser germer des ressen­ti­ments et des senti­ments d’in­com­pré­hen­sion chez les « Malgré-nous ». Ces derniers esti­maient avoir été aban­don­nés par la France.

Un climat de tensions s’ins­talla égale­ment dans les trois dépar­te­ments de l’Est. Désor­mais, entre ceux qui avaient refusé de rentrer en 1940 et ceux qui s’étaient plus ou moins bien accom­mo­dés de la présence nazie, entre ceux qui avaient résisté sous quelque forme que ce fut et ceux qui avaient tiré profit de l’Oc­cu­pa­tion, un fossé s’était légi­ti­me­ment creusé.

Tous ces facteurs encou­ra­gèrent forte­ment les « Malgré-nous » à se faire oublier, à oublier ce qu’ils avaient vécu, à nier leur histoire. Dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale, beau­coup de « Malgré-nous » – mais cela concerne aussi d’autres victimes de la guerre (resca­pés du géno­cide juif, par exemple) – demeu­rèrent persua­dés que leur expé­rience était intrans­mis­sible. Ils ne firent donc aucun effort conscient pour réani­mer leur souve­nir. Et d’autres, pensèrent que leur histoire n’in­té­res­sait personne et surtout pas les jeunes. Les Incor­po­rés de force pensaient que leur géné­ra­tion de sacri­fiés allaient fina­le­ment dispa­raître progres­si­ve­ment dans l’in­com­pré­hen­sion totale et dans l’in­dif­fé­rence.

3. le temps des reven­di­ca­tions

Les années 1970–1990 ouvrent un contexte parti­cu­liè­re­ment favo­rable à l’his­toire des « Malgré-nous ». En effet, depuis les années 1950 et l’adop­tion du traité de Rome en 1957, insti­tuant la Commu­nauté Euro­péenne et donc le rappro­che­ment de la France et de l’Al­le­magne, les Incor­po­rés de force ont le senti­ment d’avoir un nouveau rôle à jouer. L’Al­sace et la Moselle trouvent enfin une place entre ces deux pays. La construc­tion euro­péenne a ainsi encou­ragé les actions d’as­so­cia­tions d’In­cor­po­rés de force, l’émer­gence d’écrits de « Malgré nous » et d’his­to­riens s’in­té­res­sant à la ques­tion de l’in­cor­po­ra­tion de force. De surcroît, il semble­rait qu’un certain nombre de survi­vants dont la plaie s’est ravi­vée avec l’âge, revivent dans leurs cauche­mars les épisodes les plus signi­fi­ca­tifs de leur enrô­le­ment ou capti­vité, avec tous les détails, alors qu’ils sont inca­pables de se rappe­ler des éléments de leur vécu récent. La souf­france condui­sait donc au besoin de dire, d’ex­té­rio­ri­ser celle-ci, de faire connaître le sacri­fice. Ils enten­daient briser la chape de silence qui avait prévalu pendant long­temps et enten­daient s’em­pa­rer d’une parole que d’autres avaient confisquée. Il y a donc une réap­pro­pria­tion signi­fi­ca­tive de la mémoire.

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Conclu­sion

L’Al­sace et la Moselle occu­pées ont fourni 1 % du contin­gent total des forces armées alle­mandes, soit 130 000 hommes, dont 100 000 Alsa­ciens et 30 000 Mosel­lans. Parmi les 130 000 hommes qui furent appe­lés par le Troi­sième Reich, 30 % furent tués ou portés dispa­rus, 30 000 bles­sés et 10 000 inva­lides. Cet enrô­le­ment de force consti­tua incon­tes­ta­ble­ment un crime de guerre de grande enver­gure. Au procès de Nurem­berg, lors du réqui­si­toire français, Edgar Faure classa l’en­rô­le­ment forcé des soldats parmi les habi­tants des terri­toires occu­pés dans la caté­go­rie des crimes contre la condi­tion humaine. Pratique­ment toutes les familles furent concer­nées par ce drame de conscience qui laissa des séquelles profondes dans la mémoire collec­tive alsa­cienne-mosel­lane. Ceux qui en furent victimes, les « Malgré nous », se sont consi­dé­rés comme incom­pris, aban­don­nés du reste de la nation.

Depuis 1945, les Alsa­ciens et Mosel­lans incor­po­rés de force dans l’ar­mée alle­mande béné­fi­cient des mêmes droits que les combat­tants ayant servi dans les forma­tions de l’ar­mée française durant la Seconde Guerre mondiale: À la suite d’un accord signé entre le Chan­ce­lier Adenauer et le président Charles de Gaulle, les malgré-nous qui étaient jusqu’à ce moment en droit mili­taire consi­dé­rés comme déser­teurs ne le sont plus et le temps de service passé dans l’ar­mée alle­mande est consi­déré comme étant effec­tué dans l’ar­mée française. Les bles­sés reçoivent une pension du gouver­ne­ment alle­mand ainsi que les veuves de morts au combat. Le problème des unités non combat­tantes (Police Mili­taire de Campagne, groupe de Batte­rie DCA, compa­gnie service de place) reste ouvert car la légis­la­tion alle­mande n’est pas iden­tique à la française.

La ques­tion des « Malgré-nous » consti­tue indé­nia­ble­ment une histoire en deve­nir. Etudier ce sujet complexe n’est pas vain, il permet­tra de mieux comprendre la parti­cu­la­rité de ces popu­la­tions fron­ta­lières prises entre deux patries. Depuis plusieurs années main­te­nant, les « Malgré-nous » prétendent à l’uni­cité de leur histoire. Ils ressentent le besoin d’être restau­rés dans leur propre estime. Ainsi, toujours dans cette lutte, vieille de plus de cinquante ans, les « Malgré-nous » par l’in­ter­mé­diaire de Maître Richard Lux – un des défen­seurs, en 1953, des Français incor­po­rés de force dans la Waffen-SS présents lors du drame du 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane – ont adressé une requête au Garde des Sceaux afin que soit enga­gée la procé­dure de révi­sion du juge­ment rendu le 13 février 1953, qu’il estime « contraire au Droit et à la notion de Justice ».

Encore aujourd’­hui, tous les docu­ments ne sont pas publiés, les archives pas toutes acces­sibles et de nouvelles infor­ma­tions remet­tront sans doute en ques­tion ce que des histo­riens ont affirmé. Mais c’est ce qui fait que l’his­toire est toujours aussi dyna­mique. L’his­toire des « Malgré-nous » offre des déve­lop­pe­ments promet­teurs.

[Ci-dessous l’ar­ticle que Michèle Leoni­do­pou­los a envoyé à l’UIA (Union Inter­na­tio­nale des Alsa­ciens) pour le prochain bulle­tin->]

« L’Ami­cale des Alsa­ciens et Amis de l’Al­sace en Grèce a présenté un sujet histo­rique et émou­vant : « les Malgré-nous », le lundi 11 juin 2012 à l’ Ecole Française d’Athènes. Læti­tia Marchand, membre de notre amicale, dans une approche complète et précise, nous a fait parta­ger son mémoire de Master d’His­toire Contem­po­raine.Un diapo­rama crée à partir de docu­ments prêtés par le Mémo­rial de l’Al­sace Moselle à Schir­meck ainsi que des vidéos de l’Ins­ti­tut Natio­nal de l’Au­dio­vi­suel accom­pa­gnait cette minu­tieuse étude. Marie-Chris­tine Bossis, amica­lienne égale­ment et poète, nous a offert ses talents en nous lisant le poème « Les Malgré-nous » d’ Emilienne Conreux-Herbeth. Le témoi­gnage poignant d’un Malgré-nous, Monsieur Albert Biache fut présenté par sa fille Nataly et ses deux petites-filles Coline et Rosana. Dans cette inter­view, nous avons ressenti cette expé­rience doulou­reuse. De nombreux parti­ci­pants français décou­vraient ce volet de l’his­toire. Notre joli mannequin Alice Fischer portait à merveille notre nouveau costume du 19ème siècle du Pays de Hanau. Pour clore la soirée, nous avions choisi d’of­frir un frais Muscat de la cave Paul Blanck.
Cette confé­rence marque le début d’un nouveau cycle de confé­rences dans notre amicale : « L’His­toire de l’Al­sace ».
Nous avons, grâce à cette présen­ta­tion, retrouvé une Alsa­cienne dans la ville d’Agri­nio qui nous a livré l’his­toire saisis­sante de son oncle, ancien Malgré-nous évadé de l’ar­mée alle­mande et caché par un ami grec (Monsieur Kout­so­gian­no­pou­los qui s’est marié ensuite avec la sœur de l’ami sauve et a sa demande). Je porte très haut cette amitié hellino-alsa­cienne issue d’une épreuve aussi exécrable que celle vécue par ces Incor­po­rés de Force.

Michèle Leoni­do­pou­los (Prési­dente)

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Ci-dessus : Marie-Chris­tine Bossis lisant le poème « Malgré-Nous ».

Le destin de Jean-Baptiste Mist­ler, de Russ (Bas-Rhin), a égale­ment été évoqué

L’oncle d’une des adhé­rentes de l’Ami­cale, Yolande Spathou­las, de la petite ville d’Agri­nion (ouest de la Grèce) était un Malgre-Nous. Il s’apel­lait Jean-Baptiste Mist­ler, de Russ-Schir­meck. il a déserté à Agri­nion en 1943, a été caché par un ami grec, Chris­tos Kout­so­gian­no­pou­los, qui a été dénoncé. Jean a réussi à se sauver dans la proche forêt où il est tombe malade et est décédé, par manque de soins et de méde­cin, le 11 decembre ; il est enterré à Agri­nion. Son ami grec, Chris­tos, a du se cacher, a réussi à chan­ger de nom et à quit­ter Agri­nion. Jean-Baptiste a laissé une lettre pour Chris­tos lui deman­dant d’ap­por­ter ses affaires à sa famille à Russ et de marier sa petite sœur Jose­phine « pour qu’ils restent frères » . Ce qui a été fait en 1950. Chris­tos est décédé en 1982, José­phine en 1997.
La famille de Jean-Baptiste a été dépor­tée.
Cette histoire est rela­tée dans un livre I TAXI MOU KAI ALLES ISTORIES(Ma classe et d’autres histoires) de Gior­gos I. Koko­soula (paru en 2001), 86 ans aujourd’­hui. Voir aussi :
Ci-dessus : Nataly Biache-Geof­froy, fille d’un Malgré-Nous alors âgé de 16 ans.

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