Marcel Weibel, incor­poré de force dans la Waffen-SS – Article paru dans les DNA trans­mis par Yves Scheeg

Commentaire (0) Actualité, Revue de presse

 
Marcel Weibel, 92 ans, a long­temps tu son passé sous l’uni­forme de la Waffen SS. Aujourd’­hui, il se raconte. Sans toujours tout comprendre de cette histoire courte mais lourde à porter.

Quand Marcel Weibel reçoit chez lui, il a déjà sorti la docu­men­ta­tion complète. Son histoire est celle de bien d’autres, comme lui « incor­po­rés de force ». Mais comme toutes les autres, la sienne revêt ses parti­cu­la­ri­tés, son cachet apporté par la person­na­lité forte de ce fidèle Séles­ta­dien.

Tout commence à l’ar­ri­vée des Alle­mands. Le garçon a quatorze ans, ses parents tiennent un restau­rant. Le ressen­ti­ment est fort, immé­diat : « Les Alle­mands, ils n’étaient pas les bien­ve­nus, on les haïs­sait. C’était l’en­nemi. » D’ailleurs, à la maison c’est le mot « Schleuh » qui est utilisé, on n’en voit pas d’autre. « Les Français nous ont trahis quand ils sont partis, on n’avait plus le droit de parler la langue. »

Et pour­tant, bien malgré lui, Marcel Weibel se retrouve impliqué dans une histoire dont il aurait tant souhaité rester éloi­gné, préfé­rant les petits boulots qu’on lui propo­sait alors, à droite et à gauche. Dès 1941, alors qu’il n’a pas quinze ans, le garçon est convoqué par les auto­ri­tés alle­mandes, le soir salle Sainte-Barbe.

« On nous a fait signer un papier, on n’avait pas le choix. On a signé, on ne savait pas ce que c’était. Le Schleuh nous l’a demandé, on l’a fait. » Quelques semaines plus tard, il reçoit un cour­rier. « J’ouvre, j’étais volon­taire chez les SS ! » Il ne connaît pas trop les détails de ce corps d’ar­mée multi­pliant alors les horreurs sur le front de l’Est. « On savait sans savoir ce que c’était. Mais ce que cela repré­sen­tait, c’était terrible. »

S’il ne comprend pas comment il a pu se retrou­ver ainsi enrôlé, il ne sait pas plus pourquoi il a été placardé « pas accep­table ». La Waffen SS, il n’en voulait pas, elle se refuse à lui. La situa­tion est cocasse, il imagine qu’on a mené une enquête fami­liale, avec cet oncle alors mili­taire au Maroc, dans l’ar­mée française donc.

L’his­toire ne s’ar­rête pas là : Marcel Weibel est à nouveau convoqué, cette fois du côté de Saint-Georges, « où il y avait l’état civil ». « Derrière moi, dans une file, il y avait un gars qui disait : « Je ne veux pas aller chez les SS, je ne veux pas aller chez les SS ». J’ai pris la porte de côté et suis sorti par-derrière. Je me suis enfui et suis rentré à la maison. » Mais on n’échappe pas à son destin aussi simple­ment : il est à nouveau convoqué, sommé de signer. « Je ne savais pas ce que c’était. J’ai dit : non, je ne signe pas ! Je n’avais pas dix-huit ans, ils ne pouvaient pas me forcer. »

Il s’en va libre encore, avec cette promesse qui fait froid dans le dos : « On vous aura quand même chez les SS ! » Quand, en 1944, il rejoint l’avia­tion, sous l’uni­forme alle­mand, sans préve­nir ni se douter, il est conduit en Tché­co­slo­vaquie. « Là, je me retrouve sous l’uni­forme SS. Ces salauds, ils ont fina­le­ment réussi à m’y faire rentrer ! » Une règle de conduite s’im­pose à lui d’em­blée : « Je cher­chais à sauver ma vie avant de rentrer à la maison. Ces gars-là, les SS, ils étaient haïs par tout le monde, ils ne faisaient jamais de prison­nier. Se faire prendre en tant que SS, c’était risqué la même chose. Alors moi, j’avais toujours un pisto­let armé au cas où. Je ne voulais pas me lais­ser prendre. »

La fin de la guerre n’est pas loin, sur le front le soldat Weibel le sent bien. Sa prin­ci­pale préoc­cu­pa­tion est alors d’être fait prison­nier par les Améri­cains plutôt que par les Russes. Ces derniers se montrent sans pitié après avoir subi tant de massacres à l’avan­cée alle­mande. « Avec eux, je ne serais peut-être pas là. Nous, on atten­dait les Améri­cains. Quand ils étaient en face, on n’a pas tiré. On atten­dait. J’étais dans une grange. Puis je me suis dit que cela suffi­sait, je suis sorti (pour se rendre), sans savoir ce qui m’at­ten­dait… »

Il est libéré en août 1945, « certains ont dû attendre neuf mois de plus, je ne sais pas pourquoi ». Lui mise sur « la chance ». « Un matin, au rassem­ble­ment on dit : « La lettre W sortez du rang ». Peu après, on nous a lais­sés partir : « Débrouillez-vous. » » Sur le chemin du retour, l’Al­sa­cien croise des soldats français, commence en toute fran­chise à parler avec eux, puis il s’ar­rête. « Ils pour­raient croire que j’étais volon­taire, un Waffen SS volon­taire. Il y en avait pas mal qui l’étaient ! »

En train de marchan­dise et en uniforme de prison­nier, Marcel Weibel rejoint Karls­ruhe puis Stras­bourg. « Nous étions à la maison, libé­rés. » Après un tour au centre de rapa­trie­ment au Wacken. Le soir, il prend le train pour Séles­tat. « Je faisais 46 kilos, j’avais du mal à rentrer dans les habits de civil qu’on m’a donnés. À Séles­tat, j’ai vu ma tante et ma mère, par hasard. Elles atten­daient ma cousine qui venait de Paris. J’ap­pelle « maman », personne ne réagit. J’ap­pelle encore puis encore. Ma tante dit : « Mais c’est donc Marcel… » » La vie reprend, il ne parlera plus jamais de cet épisode, jusqu’au aujourd’­hui. « C’était terminé. Vous arri­vez à comprendre, vous, toute cette histoire ? Moi non. C’était ma vie, il fallait que je passe par là. »

Pendant moins d’un an, le désor­mais Waffen SS Weibel mène la guerre à l’Est, en pleine débâcle de l’ar­mée alle­mande. L’Al­sa­cien fait partie des Wikings, un régi­ment de panzer­di­vi­sion. Au poste de pion­nier, il fait ainsi partie de ces soldats employés aux travaux de terras­se­ment. Il combat surtout en Pologne, en Hongrie aussi : « C’était meilleur, il y avait de grandes fermes, avec du lard salé, du lard fumé, du pain noir, du pain blanc et tout ça. »

Malgré quelques contre-attaques, son régi­ment est sur le recu­loir. « On a surtout passé notre temps en retraite. » Une fois en Pologne, il est blessé, à la colonne verté­brale. « Les Russes étaient à 50 m. Le gars à côté se fait tuer par un franc-tireur, puis un autre. On reçoit l’ordre de rester sur place. Moi j’en avais marre, je me barre. À la moitié du chemin, ça commence à tirer, je me couche. D’un coup je sens quelque chose. Je mets la main, il y a du sang. Je conti­nue à courir… »

À l’hô­pi­tal, en Autriche, on le trouve sale. « Cela faisait des mois que je ne m’étais plus lavé : le matin on prenait de la neige dans les mains et on faisait ça et ça (il fait mine de se passer la neige sur le visage, en deux gestes). » Soigné, il est renvoyé sur le front. Où il réchappe à une mort promise. « Un soir, je me retrouve entre deux chars (alle­mands), je me couche dans une tran­chée pleine de neige et commence à ronfler. Le matin, les copains étaient partis, les chars avec. Nous n’étions plus que quelques-uns, on n’avait rien entendu. Quelle direc­tion prendre ? Il y avait du brouillard. D’un coup on voit des chars russes. Que faire ? Grâce au brouillard, on a pu passer entre deux chars, en rampant. En arri­vant dans une forêt, on tombe sur une unité alle­mande. Pendant la guerre, on ne se rend même pas compte de ce qu’on peut faire pour se sauver la vie ! »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *