Parle si tu as des mots plus fort
que le silence ou garde le silence
EURIPIDE
Je n’ai pas la prétention de représenter les orphelins des « Malgré-Nous », mais j’ai aujourd’hui le besoin de parler, et mes mots seront plus forts que le silence. Car par là même je veux, pour moi, comme pour les autres, dire à tous ceux qui doutent encore de l’honneur de l’Alsace, de l’amour toujours porté et donné par les alsaciens à la France, expliquer, que les jeunes incorporés de force n’étaient, ni des traîtres, ni des nazis.
Ils étaient des enfants de la France, obéissants et respectueux envers leur Patrie. Ils avaient tous été élevés dans cet esprit là. Et l’Alsace, mais aussi la Lorraine avaient été, sans qu’elles soient plébiscitées, livrées à l’Allemagne ; et ce n’était pas la première fois !
Aussi, quand ils ont eu l’ordre d’incorporation, de déportation de force, ils ont obéi. Pas à l’Allemagne, mais à la France, puisqu’elle avait décidé pour eux, et à cause de cela, il faut, aujourd’hui, se poser la question, une question primordiale : la France aurait-elle été en mesure, à l’époque, d’avoir les infrastructures nécessaires afin d’accueillir TOUS les alsaciens fuyant leur province devenue par ordre du gouvernement de VICHY, et contre son gré, Allemand ?
Aurait-elle pu, nous ayant livré aux allemands, empêcher l’incorporation de force, et évacuer ces jeunes appelés « 130.000 », vers la résistance française, mais aussi évacuer leurs familles, qu’il aurait fallu protéger des représailles allemandes ? Car refuser de servir ou d’encourager à servir était puni de mort.
A ma connaissance, la France n’a rien fait pour eux ; et eux, auraient-ils pu faire autrement que de se plier aux ordres reçus ? Non ! Ils n’avaient pas le choix. Rien n’avait été fait pour leur éviter cela.
Quelques uns, au péril de leur vie et de la vie de leur famille, avaient fui l’Alsace, mais il n’y aurait pas eu de place pour tous, par delà de la province abandonnée, en France, devenue « voisine ». Le pouvoir nazi en place aurait déporté toute la population alsacienne, plutôt que de la laisser fuir.
C’est donc, la mort dans l’âme, qu’ils se sont livrés aux allemands, pour devenir de la chair à canon, car les alsaciens étaient toujours placés en avant des lignes « afin qu’ils ne désertent pas ». Gare à celui qui n’obéissait pas. C’était une balle dans la nuque sans autre forme de procès.
Ils se sont donc soumis, comme un troupeau conduit à l’abattoir, et les familles de ces « déserteurs » alsaciens n’auraient pas posé un grand cas aux autorités allemandes sur place. Elles auraient été internées à SCHIRMECK ou dans tout autre camp d’extermination. Là où finissaient tous ceux, qui ne cadraient pas avec l’idéologie nazie.
C’est pour cela, et cela uniquement, que des milliers de jeunes français ont accepté de sacrifier leur jeune vie. Comble de l’horreur pour eux, ils allaient se battre, non pas contre un ennemi, mais contre leur patrie, la France et contre les alliés de la France, pour une idéologie
qui n’était absolument pas la leur.
Car, et les preuves sont là, il n’y avait pas plus d’alsaciens qui avaient adhéré à cette idéologie là qu’il n’y avait d’autres français l’ayant fait, dans d’autres provinces restées françaises. Mais par contre, il y a eu en Alsace beaucoup plus de morts que dans tout le reste de la France réunie.
Vous, la France, avez plongé l’Alsace et la Lorraine dans le déshonneur et refusez 60 ans après, encore toujours à nous réhabiliter, en admettant votre faute. Vous n’avez rien fait pour empêcher tout cela. Pouvait-il y avoir pire pour des enfants de la France ?
Quant à ORADOUR sur GLANE, là où un, parmi des milliers d’autres, crime nazi des plus horribles a été perpétré envers des civils innocents, et où MALHEUREUSEMENT, quelques incorporés de force y ont été associés, il faudrait que là aussi on fasse la part des choses.
Tous les alsaciens ne peuvent être traiter d’assassins en raison du geste innommable auquel ces incorporés de force ont été obligés. Auraient-ils refusé de s’exécuter, les allemands les auraient fusillé. Leur geste aurait été héroïque, mais inutile, et n’aurait à aucun moment sauvé de la mort la plus atroce la population d’ORADOUR sur GLANE, car après avoir « liquidé » les « récalcitrants », les allemands de tout façon, auraient mis à exécution eux-mêmes leur sinistre besogne. L’abnégation des incorporés de force n’aurait, en aucun cas, sauvé de la mort le village d’ORADOUR sur GLANE.
Je ne demande pas d’excuses pour ce qui est inqualifiable, car il n’y en a pas, mais je demande le pardon pour ceux qui ont été forcé à le faire.
Quant à mon père, il est parti au front russe avec, cousu dans sa vareuse, un morceau de ruban tricolore. Rien que cela lui valait une condamnation à mort. Mais il avait besoin de ce signe d’appartenance pour se souvenir, dans l’enfer du front russe, qu’il était et qu’il resterait français, français « MALGRE-TOUT ». Mais français déporté et abandonné, français trempé et transi de froid, les orteils en sang par les longues marches, français mourant presque de faim, français tremblant de peur d’être fait prisonnier par l’armée russe.
Mais soldat, restant français, malgré-tout jusqu’au plus profond de son cœur, de ses tripes, français qui priait « Mon Dieu pourquoi ? Protège-moi, mon Dieu, dans cet enfer, afin que je puisse retrouver les miens, les serrer sur mon cœur, les serrer tous dans mes bras »
Mais son appel n’a pas été entendu. Les canons tonnaient trop fort, la terre en tremblait. Et Dieu, sûrement, était devenu sourd, de tout ce vacarme, sourd comme l’avait été quelque temps avant la France le jour où elle avait abandonné l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne des nazis. Avec nous tous, la population, qui gémissions, qui nous lamentions, de nous retrouver encore une fois sous le joug germanique, contre notre gré. C’était à rien y comprendre, car nous t’aimions, nous t’aimions tant, chère patrie, France.
Nous venions à peine de redresser le dos du dernier abandon, que, à nouveau, et si vite, nous étions à nouveau les otages entre les deux nations, la France notre patrie, et l’Allemagne.
Des otages malmenés, maltraités, insultés, terrorisés par l’occupant nazi, vivant dans la terreur et beaucoup y ont laissé leur vie. Et, aujourd’hui pour justifier la reconnaissance de nos souffrances, nous les alsaciens et nous les orphelins de ces soldats morts non pas « pour la France », mais « par la France » qui nous avait à nouveau abandonné, on nous demande des preuves ! Des preuves de quoi ? N’y en a-t-il pas assez ? Je n’ai de toute ma vie, rien entendu d’aussi aberrant et d’aussi injuste. Car, il n’y a d’autres preuves que la triste réalité.
ILS ne sont plus là. ILS ne sont jamais revenus de l’enfer où ILS avaient été conduits de force. Nous, leurs enfants ne savons même pas, pour la plupart, où ILS sont morts, s’ILS sont morts, comment ILS sont morts. ILS n’ont ni cercueil, ni sépulture. Avec un peu de chance, ILS ont eu droit à une fosse commune. Et pour tous, ILS sont portés disparus. Rayés de la vie. Tout simplement et sans excuses.
Et, ce sont nous, les orphelins, qui devons nous excuser, nous justifier, que nos pères n’avaient pas le choix, s’ils sont morts aux cotés des allemands, pour défendre l’Allemagne. Mais que dis-je ! Nous avons eu droit à l’épitaphe « Mort pour la France ». Notre seule et maigre consolation, depuis plus de 60 ans.
Il s’agit de nos pères, mort dans l’indifférence totale de l’autre partie de la France. Celle qui avait gardé le beau rôle. Mais ces français là ne l’avaient pas non plus choisi, ce rôle là, ils étaient tout simplement du bon côté.
Alors Messieurs du Gouvernement Français, Messieurs de tout les Gouvernements Français, depuis la dernière guerre, avec tout le profond respect que je vous dois, il faudra voir par vous-mêmes pour plus de preuves, puisque preuves il vous faut pour notre reconnaissance. Et, pour cela il vous suffira d’aller compter les noms qui figurent sur les stèles dans chaque village, dans chaque ville d’Alsace et de Lorraine.
Dans le seul village natal de mon père, à l’époque moins de 400 habitants, figurent 17, dont celui de mon père. Pour un si petit village de montagne, une perte de plusieurs générations, un génocide sur plusieurs générations. 17 jeunes qui sont morts pour rien, dans la totale indifférence de la France du bon côté.
Que vous faut-il donc de plus comme preuves, Messieurs du Gouvernement Français ? Il n’y a d’autres preuves que celles, qu’ils sont morts inutilement. Et nous, les orphelins privés de nos pères, souvent privés de tout ce que d’autres enfants ont pu avoir, nous avons TOUS beaucoup souffert. Chacun d’une autre façon. Un père ne se remplace pas, ou souvent a été mal remplacé. Nous n’avons eu droit à aucun soutien moral pour surmonter cette dure épreuve. En ce qui me concerne, rien ne m’a été épargné, ni les humiliations, ni les pires méchancetés, ni les privations, ni les blâmes ; puisque je me suis fait traiter de « fléau de la France ».
Nous, les pupilles de la nation, étions donc des parias, dans l’Alsace redevenue française. Quelle douleur, et que dirait mon père de tout cela, mon père français à part entière et mort français, le ruban tricolore serré sur son cœur. S’il connaissait la suite de l’histoire , que d’autres français de ceux qui avaient eu la chance d’être du bon côté, pensent d’eux, les incorporés de force, qu’ils étaient des traîtres, et nous leurs enfants, les orphelins de la honte !
Car pour nous, si joliment nommés « Pupilles de la Nation », notre enfance a été brisée, tout comme la vie de nos pères. Mais qui peut comprendre cela ? Qui veut comprendre cela ? Nous avons fait nôtre cette devise « Ne jamais se plaindre, ne rien demander ».
Nous n’avons jamais étalé nos misères sur la place publique, et de toute façon, il y a bien longtemps que nous nous sommes efforcés de trouver des circonstances atténuantes à TOUS nos bourreaux. Il le fallait bien, pour pouvoir continuer à vivre. Et les autobiographies larmoyantes, celles qui vous tirent les larmes des yeux, ne sont pas notre genre. Nous avons fait notre deuil tout seul. Ni mur des noms, ni compensation de toute sorte, nous enlèveront notre douleur. On peut vivre en sachant qu’on a souffert, mais on ne peut oublier la souffrance.
L’Alsace et les alsaciens ont beaucoup donné pour la France et les autres français, ceux de l’intérieur comme on dit si bien ; et, comme l’a dit notre Président de la République Française, Monsieur Jacques CHIRAC , lors de sa visite à SCHIRMECK « La France n’a pas su protéger tous ses enfants ». Il a dit vrai, mais a oublié de mentionner que nous faisons partie de ceux-là.
Alors, que la France écoute, enfin et aussi nos suppliques. Les suppliques de ces orphelins laissés pour compte, privés si injustement de leur père, et qui s’adressent à Elle. Qu’Elle comprenne leur révolte d’être rejetés, d’être des indésirables, voir accusés. Qu’Elle leur donne à nouveau l’envie de l’aimer. Tout comme l’ont aimé leurs pères qui, en acceptant de se sacrifier, pour la France libre, l’ont plus que prouvé.
Que jamais plus on ne dise de nous « Vous les Alsaciens, vous êtes des Allemands ! » . Car, par respect pour l’Allemagne d’aujourd’hui, celle qui veut la paix à tout prix, celle qui veut l’Europe pour empêcher de nouvelles guerres, je me garde d’employer les mots qui blessent, ceux qui nous blessent toujours, nous les alsaciens français à part entière, quand nous nous faisons traiter de boches, ou pire de nazis.
Quand aux lettres de mon père, celles qui m’ont permis d’écrire ces pages, je ne les soumettrai jamais en tant que preuves de toutes ses souffrances. Il ne voudrait pas de cette publicité là : par pudeur. Cela tient strictement de la sphère privée et intime, et de cette intimité-là, je ne ferai pas commerce. Même pas pour le prix d’une compensation, que d’ailleurs je n’ai jamais demandée.
Voilà, je vous ai étalé ma révolte, la même que celle de la plupart des orphelins de Malgré-Nous. Je vous ai parlé de la souffrance et du sacrifice de mon père, de nos pères, de nos mères veuves et de la souffrance de la majorité d’alsaciens et de lorrains. Plus de preuves que la mort de 40.000 soldats français MALGRE-NOUS et MALGRE-TOUT n’existent pas. Leur mort est la preuve. L’ultime preuve.
Ils sont morts pour rien qui ne leur soit commun. Ils sont morts par la folie, par la lâcheté, par la haine d’une douloureuse époque, dans un moment des plus sombres de l’histoire de la France. Tout comme des dizaines, des milliers d’autres, de toute appartenance, de toute nationalité, de toute religion, et qui eux non plus n’avaient pas choisi. Seulement eux n’ont pas été oubliés ou reniés, mais ont été honorés.
Quand à la décision du Gouvernement Français, celui en place, ou celui à venir, de nous écouter et d’accepter nos doléances, il lui incombe à lui seul de juger si notre souffrance n’est pas égale à celle de tous les autres, qui ont également subi les malheurs de la guerre, mais qui ont su, mieux que nous, se faire entendre et se défendre, et qui ont été entendus. Mais sachez d’ores et déjà, que de toute façon votre décision sera la nôtre. Nous n’avons pas d’autres choix.
Nous sommes et restons à votre seule appréciation. Mais quoi qu’il en sera, nous resterons, tout comme nos pères et nos mères l’ont été, de braves petits soldats français et obéissants, et qui ont su MAGRE-TOUT, garder la dignité et la tête haute.
Avec tout le respect que je vous dois, Messieurs du Gouvernement , je vous prie de bien vouloir excuser la brutale franchise d’une orpheline de guerre, née le 18 octobre 1943, d’un père mort à 24 ans dans l’enfer du front russe, le 25 juillet 1944, jour d’anniversaire de ma mère.
Si je souhaite rester anonyme, c’est que personnellement je ne sollicite rien, rien que la reconnaissance que la France doit à nos pères et à l’Alsace – Lorraine, toute entière, victimes d’une dénégation menée par le reste de la France, de cette France qui grâce à nous, a pu rester libre.
Je me prénomme Marie-Françoise, et pendant toute la guerre ma mère m’appelait Marie –France. Je vous signale qu’à côté de chez nous habitait un collaborateur nazi. Un beau pied de nez à l’occupant, mais un pied de nez qui se nommait « Courage »
NB Copie saisie conformément au texte manuscrit en 2007.