L’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans les forces militaires allemandes à partir de 1942, un crime contre l’humanité? Renée Baudot, une Lorraine dont l’oncle Armand Gangloff a péri sous l’uniforme de la Wehrmacht, en est convaincue. Et le dossier paraît sérieux à son avocat allemand, Me Andreas Schoellen. Celui-ci est venu lundi 21 août à Strasbourg, pour discuter avec Mme Baudot ainsi qu’avec le juriste et historien de l’Alsace annexée de fait Jean-Laurent Vonau ainsi que Gérard Michel, président de l’OPMNAM (Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace-Moselle). Un rendez-vous placé, belle coïncidence, dans la semaine du 75e anniversaire des décrets imposant l’incorporation de force.
Né en 1966 à Mönchengladbach, Andreas Schoellen enseigne le droit à l’université de Nuremberg. Devenu avocat en 1997, il s’investit dans les domaines où les crimes du nazisme n’avaient pas encore été juridiquement traités dans toute leur dimension: le cas des déserteurs, celui des personnes (handicapées mentales ou souffrant de troubles psychiques) supprimées par euthanasie et aussi celui des personnes stérilisées de force. « Un jour, j’ai lu dans le Spiegel qu’un avocat s’occupait des cas des personnes euthanasiées par les nazis » explique Renée Baudot. La Nancéenne se bat depuis une dizaine d’années pour la reconnaissance morale du sort illégal fait à son oncle et cherche précisément un homme de loi engagé contre les crimes du nazisme. Elle prend contact avec l’avocat allemand qui après des années de procédures difficiles avait obtenu des indemnisations pour des victimes. Il accepte sa demande. « L’incorporation de force de jeunes Français, je la connaissais un peu par le drame d’Oradour-sur-Glane et le procès de Heinz Barth, un officier exécutant du massacre et vivait en RDA » précise l’avocat. Son plan de bataille, il l’a défini face à MM Vonau et Michel, heureux de le rencontrer pour la première fois. « J’ai déjà dialogué avec lui par Internet mais c’était important de faire une mise au point en direct » relève M. Vonau. Quant au président de l’OPMNAM, il ne regretta pas d’être venu après avoir appris par l’avocat allemand que des prestations existent pour tous les orphelins de soldats.
« Une terrible injustice historique »
L’avocat, qui voit « une terrible injustice historique » dans l’incorporation de force, liste plusieurs étapes « scientifiques » dans la construction du dossier. Suite à l’examen de tous les aspects historiques, sociologiques, politiques, juridiques et journalistiques, il sera décidé si la plainte a des chances de succès. Le spécialiste du droit envisage ainsi de faire des comparaisons entre des affaires portées par d’autres victimes du nazisme, comme ces Italiens et ces Grecs dont les proches sont morts lors de massacres. L’incorporation de force, un thème qui sort enfin du trou noir ? En tout cas, deux articles sont parus cet été dans la Badisches Zeitung, signés de la journaliste Bärbel Nückles. En juin, sous le titre « Von der Geschichte vergessen » (Oubliés de l’Histoire), elle expliquait à ses lecteurs le combat de René Baudot, née en 1947, pour la mémoire de son oncle mort en Russie en 1944. Mi-août, la journaliste allemande donnait la parole à Jean-Laurent Vonau sous le titre « Wehrmachtssoldaten wider Wille », soldats de la Wehrmacht contre leur volonté. Une médiatisation à la suite de quoi des élus Verts posent différentes questions écrites au gouvernement qui leur répond dans la foulée. En substance que, certes l’incorporation de force est « contraire au droit international » mais sans être un crime de guerre ou un crime contre l’humanité. Une contradiction énorme pour M. Vonau, un exemple du langage administratif protégeant l’Etat avec lequel Me Schoellens devra ferrailler.
M. G.-L.