Tout ce qui touche aux Malgré-Nous est sensible. L’une des questions les plus délicates concerne l’indemnisation de ce qui fut un drame personnel, familial et régional. Cette indemnisation se devait d’être d’abord morale, mais le règlement d’un préjudice moral doit aussi avoir une traduction financière.
La révélation en février dernier de pensions (350 € mensuels en moyenne) versées par l’Allemagne à d’anciens soldats et auxiliaires du régime nazi a créé un nouveau trouble, avant qu’il ne soit établi que ceci ne concernait en rien les Malgré-Nous (DNA du 28 février, du 6 mars et du 5 juin 2019). Dans les faits, comme l’on peut s’en douter, la guerre a coûté énormément aux Alsaciens-Mosellans incorporés de force par les nazis, et ils n’ont reçu après-guerre que des bribes de reconnaissance.
Pour les Malgré-Nous
Il fallut attendre 1 978 pour que les chefs d’État français et allemand Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt nomment deux représentants, Daniel Hoeffel et Alex Moeller, pour régler cette question de l’indemnisation des Malgré-Nous d’Alsace-Moselle. Un accord est conclu le 23 février 1979 : il prévoit la création d’une fondation de droit local, la future Fondation entente franco-allemande (Fefa), et le versement à celle-ci, par l’Allemagne, d’un fonds de 250 millions de DM, soit 750 millions de francs de l’époque et 117,5 millions d’euros aujourd’hui. Il fallut deux années supplémentaires pour que la Fefa soit officiellement créée, le 28 septembre 1981. La faute notamment au contentieux de la forêt du Mundat, près de Wissembourg, annexée par l’administration française en 1946. Le règlement de ce litige fut le premier effet de la Fefa, née avec deux objectifs : indemniser les Malgré-Nous et favoriser la coopération franco-allemande.
7 500 francs, soit 1 143,37 euros par personne
« Le premier versement de l’Allemagne est intervenu en juin 1984 et on a versé les premières indemnisations dès le mois de décembre suivant », se souvient Jacques Jolas, délégué général de la Fefa, embauché en cette même année 84. Pour déterminer l’indemnisation, la Fefa a effectué une simple division : 750 millions par 100 000, soit 7 500 francs, ce qui fait 1 143,37 euros. Il est admis qu’environ 130 000 Alsaciens-Lorrains ont été incorporés de force (100 000 Alsaciens, 30 000 Lorrains) et que 30 000 d’entre eux sont morts ou disparus. La fondation a fait le choix de diviser l’enveloppe par 100 000, sachant qu’à l’époque seuls quelque 80 000 certificats « portant reconnaissance de la “qualité d’incorporé de force” dans l’armée allemande » avaient été délivrés. Car « n’est pas Malgré-Nous qui veut », rappelle Jacques Jolas Pour prétendre à l’indemnité de la Fefa, il fallait posséder ce certificat, créé en novembre 1952, et avoir fait l’objet d’une enquête de la gendarmerie et des renseignements généraux.
Ces 7 500 francs ont été versés entre 1984 et 1986 à 86 555 Malgré-Nous ou à leurs ayants droit (environ la moitié de Bas-Rhinois, un quart de Haut-Rhinois et un quart de Mosellans). Quand les Malgré-Nous étaient décédés, pendant ou après la guerre, l’indemnité était versée à leurs veuves ou parents (s’ils étaient célibataires) et à défaut, à leurs descendants.
En mai 1989, puisqu’il restait de l’argent, le comité directeur de la Fefa, dans lequel siégeaient les anciens combattants, a décidé un versement complémentaire fixé à 1 600 francs (243,92 euros). Le nombre de bénéficiaires a été un peu moins élevé : 82 850. Au total, l’indemnité aux Malgré-Nous s’est donc établie à un peu moins de 1 400 € et 119 M € ont été versés en indemnités. C’est 1,5 M € de plus que la mise allemande et « c’est grâce aux intérêts, précise Jacques Jolas. Ceux-ci ont pu atteindre 14 %… Ces intérêts servaient aussi au fonctionnement de la fondation et à nos actions sociales et culturelles ». Avec son volet social, la Fefa a ainsi accordé des « secours ponctuels » (frais d’obsèques, de chauffage, etc.) à 3 295 bénéficiaires qui étaient en difficultés financières.
Pour les Malgré-Elles
Ce dispositif de la Fefa s’adressait aux Malgré-Nous, mais ignorait les Malgré-Elles pour la bonne raison qu’il ne concernait que les militaires. Les Malgré-Elles sont les femmes qui, sous le régime nazi, furent contraintes de rejoindre les formations paramilitaires qu’étaient le Reichsarbeitsdienst (RAD) et le Kriegshilfsdienst (KHD). Les hommes devaient s’y soumettre aussi, mais le plus souvent ce n’était pour eux qu’un prélude à la Wehrmacht et à la SS : ils devenaient ensuite soldats, et donc Malgré-Nous. Au KHD, ces femmes étaient auxiliaires de guerre (défense antiaérienne, usines d’armement, marine, etc.)
Finalement, afin d’indemniser aussi les Malgré-Elles, la Fefa a aussi indemnisé ceux et celles qui n’ont fait que le RAD-KHD, mais ce fut au terme d’un processus tumultueux. Il y eut des freins, et ils sont parfois nés d’« une réaction machiste », a reconnu très honnêtement le général Bailliard, qui présidait les incorporés de force (Adeif) du Bas-Rhin, en 2008. Ancienne Malgré-Elle et présidente de l’Association des anciens incorporés de force dans le RAD et le KHD, Germaine Rohrbach (1926–2014) a beaucoup ferraillé sur ce sujet avec André Bord, qui a présidé la Fefa entre 2002 et 2013.
Il fallut qu’un Alsacien, Jean-Marie Bockel, devienne secrétaire d’État aux Anciens combattants pour que cette question se règle. En juillet 2008, une convention a établi que la facture de cette autre indemnisation, fixée à 800 € par bénéficiaire, serait partagée entre la Fefa et l’État francais (400 € chacun). Entre 2008 et 2017, 5 087 personnes ont ainsi été indemnisées (l’accord en prévoyait 5 800), pour un montant de 4 M €. Un quart de ces bénéficiaires étaient des hommes qui n’étaient pas devenus Malgré-Nous. Tout en se félicitant de cette issue, Germaine Rohrbach avait alors estimé qu’il « aurait été plus élégant d’arrondir la somme à 1 000 €… »
Les Malgré-Nous ont par ailleurs obtenu ce que peuvent obtenir les anciens combattants français (voir ci-contre), mais il s’agissait là de la reconnaissance d’un statut d’ancien combattant, et non celle d’une souffrance spécifique. Et même au sein de ce régime général, ceci ne se fit pas toujours simplement : dans son livre référence sur la question, l’historien Eugène Riedweg a rermarqué que les Malgré-Nous ont toujours dû « se battre pour obtenir l’égalité avec les autres anciens combattants à chaque nouvelle mesure octroyée. Elles leur ont toujours été accordées avec un certain retard ». Du début à la fin, l’histoire des Malgré-Nous fut celle d’un drame doublé d’un malentendu.
Un orphelin de père Malgré-Nous porte plainte
pour crime contre l’humanité
Président de l’OPMNAM (Orphelins de pères Malgré-Nous d’Alsace et de Moselle), Gérard Michel a adressé ce 13 juillet en son nom propre au procureur de la République une plainte contre la République fédérale allemande pour « le crime contre l’humanité commis lors de l’incorporation de force sous contrainte envers les familles de citoyens français dans une armée ennemie ». En l’occurrence pour les personnes d’Émile Michel, son père, et André Michel, son oncle, tous deux reconnus « morts pour la France » et incorporés dans l’armée allemande respectivement en novembre 1944 et janvier 1943 (lire ci-dessus).
« Tant que je respirerai, je les embêterai », commente Gérard Michel, 74 ans, qui se bat sans relâche pour obtenir réparation pour les familles des Alsaciens-Mosellans incorporés de force par les Nazis et qui rappelle que 500 réfractaires alsaciens-mosellans ont été exécutés. « L’entente franco-allemande ne saurait justifier l’enterrement en catimini de ce drame », insiste-t-il.
« Que l’Allemagne reconnaisse ses erreurs et ses crimes »
Avec cette action en justice – qui s’accompagne d’une constitution de partie civile -, cet orphelin de père Malgré-Nous souhaite a minima « que l’Allemagne reconnaisse enfin ses erreurs et ses crimes » et qu’ « un responsable allemand présente ses excuses à l’Alsace et à la Moselle ». Scandalisé par les révélations de février dernier concernant les pensions versées par l’Allemagne à des enrôlés volontaires étrangers dans l’armée nazie, Gérard Michel dit espérer obtenir une indemnité « à la hauteur de celle qu’ont touchée les volontaires ». S’il pensait « depuis longtemps » à une telle action en justice, il indique avoir été « conforté » dans sa démarche par l’interpellation, en juin dernier, de trois personnes suspectées de crimes contre l’humanité commis au Tchad et au Soudan entre 2005 et 2010.
D’autres descendants de Malgré-Nous pourraient également porter plainte pour le même motif. Le parquet doit se prononcer sur les suites données à cette plainte.
HD
Sous le régime français
Dès le 10 mars 1945, une ordonnance a assimilé les Malgré-Nous aux anciens combattants de l’armée française. Ainsi, les morts ont été reconnus « Morts pour la France », les services effectués dans la Wehrmacht et les périodes de captivité ont été validés pour la retraite, les blessures et maladies contractées ont été indemnisées au titre du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre (CIPMIVG), etc.
De même, les orphelins de Malgré-Nous sont aussi pupilles de la nation. C’est le cas du président des Orphelins de pères Malgré-Nous d’Alsace-Moselle (OPMNAM), Gérard Michel, né en décembre 1944 et dont le père est mort en Pologne en juin 1945. En classant les papiers de sa maman, décédée en novembre 2018, il a trouvé par ailleurs trace d’un pécule versé en août 1949 par la Sécurité sociale aux orphelins de guerre. Sa maman avait touché une somme forfaitaire de 27 540 francs, soit environ 900 euros. Les orphelins de Malgré-Nous ont demandé une indemnité particulière à la Fefa. En vain. Des élus ont aussi plaidé, toujours en vain, pour qu’ils aient, dans le régime français, les mêmes conditions que les orphelins de parents victimes des camps d’extermination.
En revanche, les Malgré-Nous qui avaient été internés par les Soviétiques, au premier rang desquels les anciens de Tambov, ont obtenu un statut particulier. Par un décret de 1973, complété en 2013, ils ont obtenu une pension d’invalidité militaire liée à une détention en « régime sévère ».
La joie était perdue
En juin, Daniel Fischer s’est rendu seul aux cérémonies du 75e anniversaire du Débarquement. Un trajet Mulhouse-Caen aller-retour en voiture à 93 ans. Né à Colmar, Daniel Fischer est de la terrible classe 26, qui fut versée malgré elle dans la Waffen SS. Cet homme formidable a réussi, sous cet uniforme qui n’était pas le sien, à effectuer des actes de Résistance en Normandie avant de se rendre aux Américains en septembre 1944. L’indemnité versée par la Fefa à partir de 1984, il l’a trouvée « dérisoire : on aurait dû toucher plus ! Surtout quand on apprend aujourd’hui que des collaborateurs touchent entre 400 et 1 300 €, alors que nous, nous étions incorporés de force ! Quand on a touché cette indemnité, on a eu le sentiment qu’on commençait enfin à faire quelque chose, mais de là à dire qu’on était emballés… C’était quand même 40 ans après ! On avait eu tellement de problèmes que la joie était perdue… Non, ce n’était pas cher payé ».
« C’était une maigre indemnité par rapport au mal enduré par les Malgré-Nous, et dont ils souffriront moralement jusqu’à la fin de leurs jours », renchérit de son côté le juriste et historien Jean-Laurent Vonau. Pour lui, cette indemnité avait d’abord comme fonction « d’aplanir les obstacles qui se dressaient sur la route de l’amitié franco-allemande que l’on voulait promouvoir ».
bonjour
je me permet de vous écrire,.
en effet ma maman faisait partie des malgré nous
Aujourd’hui elle a 94 ans ,et travers elle je vous sollicite afin de savoir s’il elle droit a une indemnisations de ces années passés en Allemagne.
En attendant de vous lire recevez mes cordiales salutations
.
Bonjour,
Les incorporées de force ont été indemnisées en 2008-2009, pour celles qui en ont fait la demande. Voyez : https://www.malgre-nous.eu/2008/07/22/rad-khd-des-victimes-du-nazisme-enfin-reconnues/
Si vous souhaitez évoquer le parcours de votre maman, sachez que notre site vous est largement ouvert. Tout témoignage permet de faire mieux connaitre ce crime nazi qu’est l’incorporation de force.
Cordialement
Nicolas Mengus