BRUNNER Victor

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin

Après avoir survécu au front russe, grande a été la désillu­sion de Victor Brun­ner en décou­vrant le sort réservé aux prison­niers – même français déser­teurs de l’Ar­mée alle­mande – par les Russes au camp de Tambow.

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BASLER Martin

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin

C’est au cours du RAD que Martin Basler épouse une jeune femme de Karls­ruhe dont il attend un fils. Enrôlé dans la Wehr­macht en 1943, il ne revien­dra pas du front de l’Est.

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BALDENSPERGER Lisette

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin

Lisette Baldens­per­ger est incor­po­rée dans le Reich­sar­beits­dienst en avril 1943, puis, au mois de septembre, elle est versée dans la Luft­waffe. Télé­gra­phiste, elle capte le code ultra-secret annonçant le Débarque­ment en Norman­die. Le 17 avril 1945, elle obtient la permis­sion de la dernière chance, celle qui lui permet­tra de gagner la Suisse, puis l’Al­sace. En 1989, elle obtient la qualité d’in­cor­po­rée de force dans l’Ar­mée alle­mande et, en 1993, la carte du Combat­tant.

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Mater la fran­co­phi­lie (Mai 1941)

Commentaire (0) Evacuation et Annexion

Ce texte, adressé aux respon­sables de Quar­tiers et aux Chefs de groupe du district, dresse la liste des mesures prises pour l’ac­tion « anti-mœurs françaises>. Parmi elles, on trouve l’in­ter­dic­tion de porter un béret, de parler français, etc.

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Commentaire (0) Témoignages

Les témoi­gnages se divisent en trois parties. La première partie comprend des récits permet­tant de repla­cer l’in­cor­po­ra­tion de force dans le contexte de l’An­nexion. La seconde partie rassemble des témoi­gnages de Malgré-Nous et de Malgré-Elles qui mettent en lumière la diver­sité de leurs vécus respec­tifs. La dernière partie réunit des témoi­gnages de dépor­tés et révèle les risques encou­rus par ceux qui refu­saient de se soumettre à l’ordre imposé par les Nazis. Ils expliquent pourquoi de nombreux jeunes n’ont pas été en mesure de s’op­po­ser à leur incor­po­ra­tion dans l’Ar­mée alle­mande.

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A. Marcel

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin

Soldat de l’Ar­mée française en 1939–1940, puis époux d’une jeune Alle­mande, Marcel A. est incor­poré d’of­fice dans les SS et envoyé sur le front russe. De retour en Alsace, il est condamné à six ans de prison.

AbriHatten_Manner_Elsass.jpgMarcel A. est né le 10.8.1917. Engagé volon­taire dans les Chas­seurs à Saverne, il est fait prison­nier par les Alle­mands en Belgique. Il est trans­féré dans le Sude­ten­gau, à Mere­ditzklös­terle. En tant qu’Al­sa­cien, il sert de traduc­teur, mais parti­cipe égale­ment au creu­se­ment de tran­chées de cana­li­sa­tion. Un jour, lors d’un ébou­le­ment, il est ense­veli avec quatre autres cama­rades.

Un prison­nier français incor­poré chez les SS

Pris en charge par le direc­teur d’une fabrique de liège, il fait la connais­sance des deux filles de ce dernier. La première est infir­mière, la seconde est secré­taire de l’usine ; c’est elle qu’il va épou­ser. C’est à partir de ce mariage
qu’il va inté­res­ser les auto­ri­tés alle­mandes. Beau jeune homme d’1m75, il est enrôlé de force dans les SS et suit une forma­tion à Dachau, avant d’être envoyé en Ukraine. Il y est blessé par un parti­san – un gosse d’une douzaine d’an­nées. Une fois guéri, il est envoyé sur le front russe. Il perd son bras
droit en 1943.

Il est toujours hospi­ta­lisé quand les Russes inves­tissent l’hô­pi­tal. Pour échap­per à une mort certaine, il parvient à se cacher, puis à traver­ser, sous le tir des Russes, le fleuve tout proche. De l’autre côté, il est récu­péré par les Améri­cains qui le soignent. Il est renvoyé chez ses parents en 1946.

« Un SS est rentré! »

Au village, la nouvelle se répand rapi­de­ment : « Un SS est rentré ! ». Les gendarmes sont donc venus cher­cher Marcel A. et l’ont incar­céré à Saverne pendant près d’un an. A l’is­sue de son juge­ment, il a été condamné à 6 ans
de prison. Durant cette période, il était plus souvent à l’hô­pi­tal qu’en prison. Comme il lui était inter­dit de reve­nir en Alsace avant dix ans, il est allé à Stutt­gart pour retrou­ver sa femme. Hélas! Celle-ci avait un nouveau compa­gnon, car elle ne voulait pas d’un manchot.

Ce sont les Anciens Combat­tants de Stutt­gart qui l’ont aidé à trou­ver une place à la poste de cette ville. Il s’est ensuite rema­rié.

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KOENIG Chris­tiane

Commentaire (0) La vie quotidienne dans les provinces annexées

Le père de Chris­tiane Mengus, après avoir combattu les Alle­mands en 1939–1940, est contraint d’en­dos­ser l’uni­forme des Waffen SS. Pendant ce temps, à Stras­bourg, la vie conti­nue au Cercle nautique réqui­si­tionné par les SS.

Chris­tiane Koenig est née le 16 décembre 1934 à Stras­bourg (Bas-Rhin). Ses parents rési­daient au 12, rue des Dentelles. Sa petite enfance s’écoule, entou­rée de sa Grand’­mère et de ses parents.

« De mon papa, pompier profes­sion­nel, dont le beau casque et l’uni­forme me lais­saient pleine d’ad­mi­ra­tion, j’avais de temps en temps le droit de contem­pler les photos où il posait en uniforme de Zouave. Il avait été appelé sous les drapeaux en 1930 et à sa demande inté­gra le 2e Régi­ment de Zouave stationné au Maroc. Très bon musi­cien (1er Prix au Conser­va­toire de Stras­bourg) il fut admis à la musique du régi­ment et voya­gea beau­coup. Je me l’ima­gi­nais d’ailleurs combat­tant des fauves et chevau­chant d’étranges bêtes à deux bosses.
Ce n’est qu’en 1939 que mes souve­nirs deviennent plus précis. J’al­lais sur mes 5 ans !

Koenigconvoc38verso.jpgKoenigconvoc38_recto.jpg

Premières frayeurs !

Le masque à gaz était une affreuse chose ressem­blant à une tête de monstre et qui sentait mauvais. J’avais peur d’étouf­fer. Bon gré, mal gré, même en m’op­po­sant farou­che­ment, on réussi à m’af­fu­bler de cette chose immonde.

Nous devions quit­ter notre petit nid. Papa étant mobi­lisé au 23e Régi­ment de forte­resse à Souf­flen­heim, c’est nous les femmes (pas de minis­tère de la condi­tion fémi­nine pour nous défendre) qui devions assu­rer notre évacua­tion.

Petite paren­thèse, je vois encore Grand’­mère chapeau­tée d’un petit bibi avec des fleurs séchées tordre le cou de notre petit canari adoré « Hansele ». Geste que je trou­vais affreux, mais qui au fond à permis à notre petite boule jaune de ne pas crever de faim ou de mourir sous les dents des nombreux chats qui rodaient dans les rues.

Char­gée chacune d’une valise, de nos masques à gaz et moi en plus de mon petit « Frit­zele » (petit ourson en peluche), nous nous sommes lancées dans une cohue iden­tique à celle des jours de grève du XXIe siècle. Nous avons été diri­gés vers des wagons munis de banquette en bois. Une grosse bête noire souf­flant de la vapeur et bouf­fant du char­bon nous a menées vers notre destin. Tout cela était très impres­sion­nant et sans l’inquié­tude des adultes cela aurait pu être une grande aven­ture.
Après un voyage sans fin nous arri­vâmes au but. Après une nuit passée sur la paille dans un hall immense, j’ap­pris que nous étions à Château­roux.
Pourquoi Château­roux dans l’Indre et pas Peri­gueux ou Clair­vivre ? Tout simple­ment parce que la Manu­fac­ture des Tabacs (SEITA) de Stras­bourg y était dépla­cée et que Grand’­mère y travaillait comme ciga­rière, puis comme télé­pho­niste. Maman, momen­ta­né­ment sans travail, l’avait suivie.

Dès le lende­main de notre arri­vée, c’est à dire le 4 septembre 1939, nous prenions posses­sion de notre petit loge­ment réqui­si­tionné chez des gens épatants, rue Jeanne d’Arc prolon­gée. C’était une grande pièce munie d’une chemi­née, d’un placard et juste équi­pée d’un évier, d’une table et de trois lits (dont un lit cage)… La maison se trou­vait entre un pont de chemin de fer et un bouilleur de cru… bonjour les odeurs !

Maman restait au foyer pendant que Grand’­mère travaillait à la Manu­fac­ture de Tabacs. Noël 1940 fut toute­fois tris­tou­net pour nous, malgré les cadeaux reçus des voisins et des trois petits cama­rades : Papa nous manquait.

Avions italiens sur Château­roux

Quelle joie de revoir Papa le 21 janvier 1940 ! Les voisins avaient même déposé des victuailles devant notre porte ! Vêtu de son uniforme kaki, il portait crâne­ment son képi et surtout ses « wickel­gam­masche » (bandes molle­tières) J’étais toute fière de montrer à mes copains que j’avais aussi un papa. Il m’a même accom­pa­gné à mon école, dont je ne sais plus le nom. Par contre, je me souviens très bien de notre maîtresse Melle Violant : c’était une vraie cari­ca­ture avec ses lunettes cerclées de noir.

Le départ de Papa pour Stras­bourg, le 14 février 1940, nous laissa inquiètes et tristes.
Même à Château­roux nous n’étions plus tranquilles. Pris pour cible par les alliés des Alle­mands, en l’oc­cur­rence les Italiens dont la cocarde sur les avions ressem­blait à celle des Français, nous ne trou­vions rien de mieux à faire que de nous abri­ter sous ce fameux pont de chemin de fer ! Quelle bonne idée ! C’est préci­sé­ment ce pont qu’ils cher­chaient.
Je vois encore très nette­ment les pilotes dans leur carlingue avec leur serre-tête sur le crâne… C’est là que j’ai vu les premiers bles­sés parmi des civils évacués et qui avaient pris place dans des trains mitraillés par les Italiens.

Quelque temps après, les soldats alle­mands en Feld­grau ont débarqué. Très gentils, ils tentaient d’ama­douer la popu­la­tion en distri­buant des frian­dises. Notre voisin, M. Caillaux, le bouilleur de cru, était très embêté, son âne ne voulait plus lui obéir : il s’ap­pe­lait « Hitler ».
Plus de nouvelles de papa qui avait été fait prison­nier près de Hague­nau. Mais, dès sa démo­bi­li­sa­tion en juillet 1940, il réin­té­gra le corps des sapeurs-pompiers de Stras­bourg.
Nous, de notre côté, sommes reve­nues à Stras­bourg en août 1940. Voyage de retour angois­sant. Qu’al­lions nous trou­ver dans cette Alsace annexée au Reich ? Choc plus grave encore pour moi qui avais perdu mon « Frit­zele » (j’y pense encore main­te­nant après plus de 60 ans !).

A Stras­bourg

C’était un soir de décembre, je me souviens vague­ment avoir entendu, peu après le hurle­ment des sirènes, des déto­na­tions. Maman parais­sait inquiète. C’était la première attaque aérienne de Stras­bourg par les Anglais.

Avec papa nous faisions des figu­rines en plomb que nous jetions dans l’eau froide pour obte­nir de drôles de forme. Malgré la présence des alle­mands, les jeux d’en­fants repre­naient le dessus : les parties de glisse le long du chemin de halage, à côté du pont Saint-Martin, sur une luge datant de la fin du XIXe siècle furent épiques. Tout le monde se moquait de moi ! On se faisait égale­ment des frayeurs au bord de l’écluse, face à l’usine de choco­lat Schaal… J’ai égale­ment souve­nance des Kléberlé, sandales dotées d’une semelle en bois rigide avec lesquelles on se coinçait doulou­reu­se­ment les orteils ; en hiver, nous avions de vrais sabots dans lesquels on se tordait les chevilles telle­ment la neige restait collée aux semelles.
En août 1940, Papa, jugé poli­tique­ment incor­rect au sein de la Feuer­schutz­po­li­zei, alla travailler dans une ébénis­te­rie à la Krute­nau.
En octobre 1940, vêtue d’un tablier noir à liséré rouge, Maman me traîna à l’Ecole Saint-Louis, quai de Fink­willer, et là, ô joie, je fus jugée trop malingre pour aller dans la première classe alle­man­de… Mais, je n’y ai pas échappé l’an­née suivante.
Nous restâmes jusqu’en juin 1942 rue des Dentelles.

Sport­ge­mein­schaft SS – Strass­burg

De bouche à oreilles, Papa apprit qu’un bel appar­te­ment de concierge allait se libé­rer. Une des condi­tions pour l’ob­te­nir : pouvoir répa­rer des barques et autres canoës en bois. Maman et Grand’­mère, décla­rées Fran­zo­sen­kopf, donc indé­si­rables, ne travaillaient plus, la déci­sion fut prise de démé­na­ger vers les beaux quar­tiers de la ville, au 22 Illwall­strasse. C’était une solide maison de 1881 en grosses pierres taillées dans du grès des Vosges. Nous allions habi­ter un bel appar­te­ment au 2e. Quel luxe : nous avions toutes les commo­di­tés !
Au premier étage il y avait les vestiaires et une salle de réunion, pompeu­se­ment appe­lée « Casino » avec un « zinc » (bar). Au rez-de-chaus­sée, un immense garage abri­tait de nombreux bateaux de tout calibre avec, au fond, l’ate­lier de Papa. Avant la guerre, cela s’ap­pe­lait le Cercle Nautique de Stras­bourg et c’était le lieu de rencontre de la « jet set » de Stras­bourg. Réqui­si­tionné par les Alle­mands, il devint la « Sport­ge­mein­schaft SS ». Malgré l’in­va­sion des offi­ciers SS pendant la jour­née, faisant claquer leurs bottes et hurlant des ordres, le soir, en cati­mini, de mysté­rieux person­nages se rencon­traient dans le fameux Casino : c’était des amis résis­tants… N’y avait-il pas de meilleure planque ?

Rencontre avec la Gestapo

En juin 1942, Papa est nommé Boot­schrei­ner et travaillait encore dans l’ébé­nis­te­rie de la Krute­nau dont le patron était alle­mand. Lors d’un Kama­rad­schaft­sa­bend, peut être un peu trop arrosé, notre « Alsa­cien » se révolta et insulta les Alle­mands en les trai­tant de Schwo­we­pack. Dénoncé par un collègue, il fut convoqué à la Gestapo et cuisiné pendant 24 heures. C’est grâce à l’in­ter­ven­tion d’un offi­cier alle­mand, grand blessé de guerre, et qui avait assisté à cette fameuse soirée, qu’il fut libéré.
Scola­ri­sée en octobre 1942 à la Gudrun­schule (Insti­tu­tion Ste-Clothilde), je n’étais pas une élève très studieuse. Détes­tant roya­le­ment les Alle­mands, je ne parti­ci­pais que molle­ment au « Heil Hitler ! » mati­nal et les « Räder müssen rollen für den Sieg » me lais­saient de glace. Je souf­frais toute­fois beau­coup pour un petit copain légè­re­ment handi­capé, un vrai souffre-douleur de notre maîtresse qui le frap­pait régu­liè­re­ment avec une règle sur ces pauvres petites jambes couvertes d’ec­zéma.

Petite compen­sa­tion extra­s­co­laire : c’était les sorties que nous faisions à la campagne avec mes copains, les « Scha­geble » (leur nom était Jacob). Nous partions le matin dans la Schnerr, genre de navette, pour arri­ver à Lamper­theim via Venden­heim. On nous lâchait dans les champs de pommes de terre, car nous avions pour mission de ramas­ser le maxi­mum de dory­phores, que nous mettions dans des cornets fabriqués dans du papier jour­nal. Le soir, nous reve­nions avec notre cargai­son de bestioles, je ne me souviens plus quelle fut notre récom­pense. En même temps, par bravade, nous compo­sions de jolis bouquets avec les trois couleurs de la France (margue­rites, bleuets et coque­li­cots). Nous avions un certain succès dans le tram qui nous rame­nait ; une alle­mande a même voulu nous les ache­ter !

Waffen SS !

Le 23 avril 1943, Papa fut convoqué au centre de recru­te­ment de Morhange. On lui annonça qu’il allait être incor­poré dans la Waffen SS. Il eut même droit au fameux tatouage sous le bras, signe distinc­tif des SS. Je sais qu’il alla au front de l’Est, je n’ai malheu­reu­se­ment plus aucune trace à part un télé­gramme en prove­nance de Silé­sie Silber­berg Eulen­ge­brirg.

Dès le départ de Papa, Maman fut embau­chée comme Haus­meis­te­rin, mais vu le faible revenu elle travailla en même temps comme comp­table dans une librai­rie de la Place Kléber, la « Buch­hand­lung Metz­ger » de Stutt­gart (actuel­le­ment Librai­rie Kléber, le tout ayant était recons­truit après la guerre).
Grand’­mère et moi étions donc seules. Dénon­cées par une chari­table voisine (alsa­cienne) de nous expri­mer en français, on nous menaça de nous faire partir du jour au lende­main pour Karls­ruhe en Umschlung. J’avais de sacrés problèmes pour l’ap­pe­ler « Oma ».
Un jour un offi­cier SS – de la pire espèce – hurla des ordres à Grand’­mère qui, évidem­ment (elle était origi­naire de Paris) ne compre­nait rien à son jargon, prit sa mine la plus ahurie et se fit passer pour sourde et muette ! Rageu­se­ment, l’Al­le­mand se préci­pita sur un tableau d’af­fi­chage et le remplit d’une écri­ture gothique (Sutter­lin­schrift). Grand’­mère prenait un air de plus en plus débile et l’of­fi­cier, furieux, repar­tit en jurant !
Nous devions égale­ment nous débrouiller pour palier à une pénu­rie d’ali­ments frais, car le cita­din mangeait de la vache enra­gée malgré les Ersatz et les tickets de ravi­taille­ment. (étant enfant unique je n’avais droit qu’à un quart de lait frais entier par jour). Nous étions donc obligé d’al­ler Hamstere (se ravi­tailler). De bon matin nous partions, maman chevau­chant un antique vélo, moi assise à l’ar­rière, desti­na­tion Kolb­sheim. Nous devions louvoyer car c’était « Streng Verbo­ten » de s’ap­pro­vi­sion­ner chez les paysans qui eux-mêmes étaient contrô­lés et surveillés par les Bauernfüh­rer. De temps en temps, des actions de répres­sion étaient entre­prises. On était fouillé et les denrées trans­por­tées confisquées. Outre les amendes immé­dia­te­ment perçues, la prove­nance des achats devait être décla­rée.

Bombar­de­ments !

Dans notre maison il n’y avait pas de cave, donc aucun abri. Nous devions nous réfu­gier dans la cave de la maison voisine. C’était un abri précaire, pratique­ment de plain-pied, sans aucun renfor­ce­ment. Des étudiants d’avant 14/18 y avaient habi­tés : les murs et les plafonds étaient remplis de dessins repré­sen­tant des têtes de morts, des fantômes tenant des faux et des graf­fi­tis du style « In hundert Jahre wieder… » etc…. Vrai­ment macabre pour la gamine que j’étais. Toute la maison­née, ainsi que d’autres voisins, s’y réfu­giaient en cas d’alerte. Cet abri était meublé (lits, tables, chaises). Il y avait égale­ment une bassine remplie d’eau et des morceaux de chif­fons qui devaient être mouillés et mis devant la bouche en cas d’ef­fon­dre­ment de la maison. Les murs mitoyens des fonda­tions étaient percés d’une porte en briques préfa­briquées qu’on pouvait faci­le­ment enfon­cer grâce à une masse à proxi­mité et permet­tant le passage d’une maison à l’autre.
Le bombar­de­ment du 6 septembre 1943 n’était, parait-il, en aucun cas compa­rable aux Terro­ran­griff (attaques de terreur) effec­tuées sur les villes alle­mandes pour détruire et casser le moral de la popu­la­tion alle­mande. Celui-là ne devait toucher que des objec­tifs stra­té­giques limi­tés, mais qui, du fait de la tactique employée par les Améri­cains (un tapis de bombes lâchées très large­ment de part et d’autre de l’objec­tif), ont fait des dégâts impor­tants, notam­ment dans toute la partie Sud de Neudorf, entre la rue Rath­sam­hau­sen et la ligne de chemin de fer. Beau­coup de Stras­bour­geois pensaient d’ailleurs que l’avia­tion alliée ne s’at­taque­rait pas à une ville alsa­cienne. La popu­la­tion fut tota­le­ment surprise. Les bombar­diers larguèrent quelques centaines de bombes dont des incen­diaires. Une partie de Neudorf prit l’as­pect d’un paysage lunaire. De nombreux morts et bles­sés furent à déplo­rer.
A partir du prin­temps 1944, l’of­fen­sive aérienne alliée sur une grande partie de l’Eu­rope occi­den­tale s’in­ten­si­fia en prévi­sion du débarque­ment. Les voies de commu­ni­ca­tion furent parti­cu­liè­re­ment visées. Stras­bourg allait à nouveau être sérieu­se­ment touchée à six reprises.
Le 1er avril 1944 la partie Sud de Neudorf a été touchée, ainsi que la Meinau. La popu­la­tion avait cette fois pris l’alerte au sérieux et s’était mise à l’abri. De ce fait, il y eut moins de morts et de bles­sés, mais de nombreuses maisons furent endom­ma­gées et détruites.
Lors du bombar­de­ment du 27 mai 1944, veille de Pente­côte, ce sont les usines d’avia­tion Junker et la voie ferrée qui étaient visées. La Meinau est à nouveau touchée ainsi que Schil­ti­gheim et Bisch­heim. La maison de mes grands-parents, rue Henri Heine – pardon Chami­sots­trasse – fut légè­re­ment touchée. Grâce à un lais­sez-passer maman a pu se rendre sur les lieux.

Les bombar­de­ments des 19 juillet et 3 août 1944 avaient pour objec­tif la gare de triage de Haus­ber­gen. Le bombar­de­ment a été effi­cace car ce sont surtout les instal­la­tions ferro­viaires qui sont touchées. Je pense que cela devait être l’avia­tion anglaise, beau­coup plus précise.
Le 11 août 1944, par une très belle jour­née, donc visi­bi­lité parfaite, le centre de Stras­bourg fit l’objet d’une attaque massive. Les alertes étaient presque quoti­diennes et il n’était pas rare de voir passer des forma­tions de plusieurs centaines de bombar­diers qui allaient attaquer le Sud de l’Al­le­magne. Les Stras­bour­geois ayant toujours la convic­tion que leur ville ne serait pas attaquée durent déchan­ter. Les premières esca­drilles lâchèrent leurs cargai­sons sur Cronen­bourg, Schil­ti­gheim et Bisch­heim. Une autre vague d’ap­pa­reils se diri­gea vers le centre et, après le lance­ment d’un signal fumi­gène carac­té­ris­tique, lâcha ses bombes. La cathé­drale fut touchée avec l’Oeuvre Notre-Dame, le Palais des Rohan et l’An­cienne Douane. A la place Guten­berg et dans la rue des Veaux de violents incen­dies firent rage. Au Port au Pétrole, un réser­voir fut touché. On voyait les flammes de chez nous : le ciel resta embrasé quelques jours. Stras­bourg connaî­tra encore de nombreuses alertes.
Le 25 septembre 1944, par une jour­née pluvieuse et sans visi­bi­lité, nous avons subi le plus violent bombar­de­ment. C’est le centre de la ville, place Kléber (Karl Roos Platz pour les Nazis), rue du 22 novembre, la Gare, la Poste centrale, le quar­tier de la Bourse ainsi que Bisch­heim, Lingol­sheim et Ostwald qui furent touchés. Des milliers d’im­meubles endom­ma­gés et détruits et beau­coup de morts et de bles­sés. Les pertes humaines furent surtout impor­tantes dans le quar­tier de la Gare. Plusieurs trains venaient d’ar­ri­ver (j’avais surpris une conver­sa­tion d’un agent de pompes funèbres qui disait que les secou­ristes trans­por­taient les têtes des morts).
C’est ce jour là que nous avons vu rentrer maman les genoux et les bras en sang, les habits déchi­rés, pleins de pous­sière de ciment, mais vivante ! C’était toujours une grande angoisse pour les familles : on ne savait jamais dans quel état on allait retrou­ver son habi­ta­tion.
Il y eut encore trois attaques, les 28 et 3O septembre ainsi que le 17 octobre, provoquant des dégâts minimes.
Petit rayon de soleil pendant ces terribles jour­nées, ce fut le jappe­ment d’un petit chiot que j’avais récu­péré après un bombar­de­ment. Je l’ai évidem­ment ramené à la maison et, en lui donnant le bibe­ron, nous avons réussi à le sauver. Il nous resta fidèle pendant 13 ans.
Pendant les alertes et les bombar­de­ments, c’était l’hor­reur. J’avais une peur atroce, à tel point que j’avais comme un 6e sens. Je me préci­pi­tais sur ma petite valise bien avant que l’alerte se déclenche : je la sentais ! Les alertes de nuit étaient terribles pour moi : s’ha­biller en vitesse, descendre dans le noir, car on n’avait pas le droit d’al­lu­mer les lumières, etc….
Le soir, bien camou­flées dans notre cuisine, maman me faisait lire les contes des Frères Grimm et, de ce fait, j’ou­bliais un peu ma peur. La jour­née, dès qu’il y avait une alerte, je descen­dais seule à la cave – Grand’­mère ne m’ac­com­pa­gnant jamais –, les mains cris­pées sur le Luft­schutz­gepäck, petite valise qui conte­nait les papiers les plus impor­tants et un mini­mum d’ef­fets indis­pen­sables à une survie.

Pendant les bombar­de­ments, lorsque le sol trem­blait sous vos pieds, que les murs bougeaient, dans le noir – la lumière s’étant bien sûr éteinte –, je m’ac­cro­chais déses­pé­ré­ment aux basques d’une voisine alle­mande, Frau Otto, mère de quatre enfants, qui avait la gentillesse de s’oc­cu­per aussi de moi. Nous ne savions jamais si la prochaine bombe serait pour nous. Le bruit des avions, ainsi que le siffle­ment des bombes et leur déto­na­tion étaient insup­por­tables.
A la fin des bombar­de­ments, lorsque la Entwar­nung (fin d’alerte) des sirènes reten­tis­sait, on sortait hébété des caves. Au loin on voyait de la fumée et, au-dessus de la ville, un nuage de pous­sière s’éle­vait. J’étais seule­ment rassu­rée lorsque je voyais maman reve­nir ; pour elle aussi le cauche­mar prenait fin puisque tout le monde était en bonne santé.
Pendant ce temps aucune nouvelle de papa. Accro­chées à la radio, nous écou­tions, clan­des­ti­ne­ment, des nouvelles de Londres qui nous infor­mait sur l’avance alliée. Derrière la porte de la cuisine, maman avait fixé une grande carte de France sur laquelle elle déplaçait, au fur et à mesure, des petits drapeaux.

Drôle de visite !

Début septembre 1944, deux dames portant des habits de deuil, une jeune et une grison­nante, sont venues supplier maman de cacher respec­ti­ve­ment leur frère et leur fils. C’était un membre du Cercle Nautique, déser­teur de l’ar­mée alle­mande. Venu en « perme », il avait réussi, lors d’un bombar­de­ment, à s’en­fuir du train qui le rame­nait au front de l’Est (les Alle­mands rame­naient auto­ma­tique­ment les permis­sion­naires alsa­ciens vers la Russie de peur qu’ils désertent !). Porté soi-disant disparu par les auto­ri­tés mili­taires alle­mandes, il fallait à tout prix lui trou­ver un endroit où se cacher. Ne pouvant refu­ser, vu la détresse de la mère et de la sœur, il trouva donc refuge à la « SS Sport­ge­mein­schaft » ! En cas d’une descente des Alle­mands, une cachette était prévue dans une chambre froide dont la porte était camou­flée par un grand tableau noir. On risquait gros ! A partir du 30 août 1944, une prime de 100 à 500 Marks était accor­dée au déla­teur.
La menace gran­dis­sante d’une nouvelle offen­sive alliée entraîna la mobi­li­sa­tion géné­rale de toute la main d’œuvre dispo­nible qui devait être envoyée dans les Vosges et autour de Stras­bourg. Dans toute la ville fut orga­nisé le Schant­zein­satz (travail de retran­che­ment). Maman fut donc convoquée, puisqu’elle était sans travail suite au sinistre de la librai­rie qui l’em­ployait. Cela concer­nait d’ailleurs encore d’autres femmes n’ayant pas atteint 55 ans. C’était vrai­ment un travail de force. Mais cet effort fut tout à fait inutile et dispro­por­tionné par rapport aux résul­tats obte­nus !
Toujours sans nouvelles de Papa, qui d’ailleurs n’au­rait même pas eu le droit de venir puisque les permis­sions à desti­na­tion de l’Al­sace furent suppri­mées (Urlaubs­perre) à daté du 6 septembre 1944, sauf pour les Alsa­ciens ayant fait preuve d’hé­roïs­me… ou ceux concer­nés par le décès d’un des leurs.
Cepen­dant nous remarquions à de multiples signes que l’ar­mée alle­mande était en train de craquer. Les restric­tions se faisaient nombreuses, des entre­prises alle­mandes étaient trans­fé­rées vers l’in­té­rieur du Reich, des véhi­cules de toutes sortes passaient à travers la ville en direc­tion de Kehl, etc… Des mesures éner­giques étaient prises à l’en­contre des troupes en retraite et des fuyards… Mais quelle joie pour nous !
Le 22 octobre 1944, le Gaulei­ter Wagner créa le Volks­turm.

« Si kumme ! »

En novembre 1944, les derniers civils alle­mands partirent. Nous enten­dions tonner les canons au loin et, la nuit, le ciel était illu­miné par des éclairs. « Si kumme ! » (« Ils viennent ! »). Ce petit mot passait de bouche à oreille. On était tout à la fois plein d’ap­pré­hen­sion et de joie !
Dernière bravade de gosses : par petits groupes, on se tenait près du petit pont surplom­bant l’Ill, près du quai Rouget de l’Isle, et nous nous moquions de l’af­fo­le­ment des femmes alle­mandes qui nous deman­daient la direc­tion du pont de Kehl ! On leur indiquait cepen­dant toujours le bon chemin.
Maman avait pris le risque d’in­for­mer notre voisine alle­mande de l’ar­ri­vée immi­nente de nos libé­ra­teurs. Elle croyait encore au « Grand Reich ». Elle fit quand même ses valises à temps et parti avec ses quatre enfants. Son mari était Haupt­mann (capi­taine) dans l’Ar­mée alle­mande, sans être un nazi.
Le 23 novembre 1944 était une jour­née froide et brumeuse. Les déto­na­tions des canons se faisaient entendre de plus en plus fort. Munie d’un grand cabas en toile et mes tickets de ration­ne­ment, je me rendis encore chez le boulan­ger qui se trou­vait allée de la Robert­sau.
Personne ne s’at­ten­dait à une arri­vée si rapide de la 2e DB. Maman, qui se trou­vait au centre ville, rentra avec un des derniers trams encore en circu­la­tion.
C’est le lende­main que j’ai vu les premiers chars français débou­cher au quai Rouget de l’Isle.
A la recherche d’ali­ments, les caves alle­mandes étant bien acha­lan­dées, les pillages étaient deve­nus monnaie courante ; les gosses imitaient les adultes. Ayant récu­péré une soupière blanche remplie d’une poudre, genre bouillon gras, je me suis retrou­vée toute seule au coin de la rue Stoe­ber. En voyant les soldats casqués, mitraillette au poing marchant à côté des chars, j’ai tout laissé tomber et j’ai pris la poudre d’es­cam­pet­te… Ils n’avaient pas l’air de rire, leur visage était sévè­re… Ils se sont arrê­tés devant notre maison le « SS Truc.. » pensant sans doute y trou­ver des alle­mands. Notre déser­teur était heureu­se­ment parti. Grand’­mère, avec sa gouaille et son accent de titi pari­sien, les a rassu­rés. Les sourires sont reve­nus ainsi que les embras­sades. Un drapeau français, sorti de sa cachette, flotta bien­tôt à notre balcon.
Epoque bénie pour les gamins. Nous rece­vions du « singe » (Corned Beef), du sain­doux et du choco­lat. Ensuite ce fut l’ar­ri­vée de l’ar­mée améri­caine. Ils étaient station­nés boule­vard de l’Oran­ge­rie. Nous leur appor­tions des drapeaux avec la croix gammée, en retour nous rece­vions des conserves et des… ciga­rettes.

Les Alle­mands reviennent

En janvier 1945, c’est la grosse panique ! Les Alle­mands reviennent ! Compro­mis par le déser­teur que nous avions caché et dont tout le monde connais­sait l’exis­tence, nous avions natu­rel­le­ment peur des repré­sailles. Nous n’avions aucune connais­sance, ni les moyens d’al­ler nous réfu­gier de l’autre côté des Vosges comme certains ont pu le faire. A nouveau nous enten­dions les canons tonner. Des patrouilles alle­mandes parvinrent à fran­chir le Rhin et à s’in­fil­trer jusqu’en bordure de l’Oran­ge­rie.
Ener­gique­ment défen­due par les troupes françaises et surtout les gendarmes, près de Kilstett, les Alle­mands n’ont pu reprendre Stras­bourg, malgré de multiples efforts.
Le 11 février 1945, le Géné­ral de Gaulle, après s’être recueilli à la cathé­drale de Stras­bourg, édifice mutilé par les bombes et les obus, passa en revue les défen­seurs de Stras­bourg, place Broglie : tirailleurs algé­riens, FFI et Brigade Alsace-Lorraine. Les copains et moi étions évidem­ment au premier rang. Les tirailleurs algé­riens « Goumier », vêtus de leur djel­laba, coif­fés d’un turban, nous faisaient peur, malgré leur gentillesse et leurs sourires, parfois éden­tés !
Au cours du deuxième trimestre 1944–1945, ce fut le retour à l’école qui est rede­ve­nue l’Ins­ti­tu­tion Ste-Clothilde. Les maîtres alle­mands furent rempla­cés par des sœurs de Ribeau­villé. Sur le chemin de l’école, nous devions souvent nous mettre à l’abri puisque Stras­bourg subis­sait encore les tirs de l’ar­tille­rie alle­mande. Nous ramas­sions des éclats d’obus. Cela dura jusqu’au 15 avril 1945.
Maman alla propo­ser ses services à la Croix Rouge française et travailla au Centre de rapa­trie­ment du Wacken, dans l’es­poir de voir reve­nir Papa via ce centre.

« Chris­tiane s’ich diner Pape ! »

Juillet 1945. Pour nous les enfants, c’étaient les vacances scolaires. Nous profi­tions du beau temps pour nous baigner dans l’Ill qui n’était pas encore polluée. Sur la route, un homme très maigre et bronzé chemi­nait lente­ment, comme s’il hési­tait à avan­cer. Il regar­dait anxieu­se­ment vers notre maison. Tout à coup une amie me cria « Chris­tiane s’ich diner Pape ! ». Ne me recon­nais­sant pas, je n’osais venir à sa rencontre. C’est là qu’il m’a sourit et d’une voix enrouée m’a appelé.
Enfin je m’ap­pro­chais et timi­de­ment embras­sais ces joues creuses. Repre­nant vrai­ment conscience de sa présence, je pris le vieux vélo de Grand’­mère et, d’une seule traite, me rendis au Wacken cher­cher Maman.
Après une longue sépa­ra­tion la famille était à nouveau réunie. C’était le 2 juillet 1945. Il se reposa quelques jours et nous raconta enfin ses péré­gri­na­tions. Après la Silé­sie, il partit pour la Hongrie, à Buda­pest, où il fut chargé de s’oc­cu­per de la Feldküche (roulante). C’était un « vieux » de 34 ans… ses compa­gnons l’ap­pe­laient Vater. Le siège de Buda­pest commença. La ville fut encer­clée par la terrible armée russe, les « Yvan ». Il y eut énor­mé­ment de morts et de bles­sés parmi les Alle­mands. Toute­fois, il réus­sit à s’en sortir avec un cheval et sa Feldküche.
Fait prison­nier par les Russes, il subit l’hor­reur d’un camp à ciel ouvert où les prison­niers étaient entas­sés, serrés comme des sardines et à même le sol. Traité moins que des chiens, la nour­ri­ture leur était jetée et il fallait se bagar­rer pour un morceau de pain rassis et boueux.
Impos­sible de prendre contact avec les gardiens qui étaient de vraies brutes, surtout si on a été un Waffen SS.
Du jour au lende­main cela chan­gea : trans­féré, bien entendu à pied, dans un camp améri­cain en avril 1945, les condi­tions de survie s’amé­lio­rèrent. Après plusieurs tenta­tives pour prendre contact avec les gardiens, il trouva enfin un offi­cier améri­cain qui, ayant eut vent de l’in­cor­po­ra­tion de force des Alsa­ciens dans l’ar­mée alle­mande, le sortit de ce camp de misère. Pensant bien faire, l’Amé­ri­cain lui enleva son tatouage en le char­cu­tant avec je ne sais quoi ! Résul­tat : ce fameux tatouage s’était trans­formé en une vilaine cica­trice puru­lente ne lais­sant pas de doute sur son origine.

Fin du calvaire

Très dimi­nué physique­ment et mora­le­ment ( il ne pesait plus que 45 kg), il fut d’abord hospi­ta­lisé, puis dirigé sur un centre de rapa­trie­ment de Linz. Habillé propre­ment avec un costume brun rayé, iden­tique à celui de tous ses cama­rades, il retrouva enfin son Alsace.
Il réin­té­gra le Corps des sapeurs-pompiers de Stras­bourg le 15 septembre 1945. Lavé de tout soupçon, les cinq années de « mise à pied » forcée de la Feuer­schutz­po­li­zei lui furent rendues.
La « SS Sport­ge­mein­schaft » rede­vint le Cercle Nautique de Stras­bourg.
Toute­fois, dans la vie courante, nous rencon­trions encore beau­coup de diffi­cul­tés. Le gaz de ville ne fut réta­bli qu’a­près le 26 juin 1945. Nous manquions encore cruel­le­ment de denrées fraîches ; tout était encore rationné. Le marché noir fleu­ris­sait. La partie la plus aisée de la popu­la­tion trou­vait tout sur un « marché paral­lèle ». C’était encore une période bénie pour les commerçants et les paysans qui abat­taient clan­des­ti­ne­ment le bétail.
C’est aussi le temps des règle­ments de compte, pas toujours justi­fiés. Il y avait une telle haine contre les déla­teurs. D’ailleurs, à la Meinau, il y avait un centre d’épu­ra­tion dans lequel on retrou­vait des Alle­mands n’ayant pu partir, ainsi que des alsa­ciens soupçon­nés d’in­tel­li­gence avec les Alle­mands.

Enfin les années noires s’es­tom­paient. Je pouvais à nouveau dormir tranquille­ment, plus d’alerte, plus de bombar­de­ment.
Un mauvais rêve me pour­sui­vait cepen­dant ou plutôt un cauche­mar : Je me trou­vais dans la rue Mercière, face à la cathé­drale, qui était un immense tas de gravats. Il ne restait que quelques pans, de la fumée se déga­geait et on enten­dait une étrange musique. Il y avait des cadavres et, tout à coup, des sque­lettes revê­tus de grands manteaux noirs se diri­geaient vers moi ! J’avais beau recu­ler, ils essayaient toujours de m’at­tra­per… Heureu­se­ment, je me réveillais dans mon lit à côté de Grand’­mère.
Après une colo­nie de vacances à Lourdes, spécia­le­ment desti­née aux petits cita­dins les plus malingres et les plus touchés psychique­ment, je retrou­vais le train-train de tous les écoliers. C’est là que s’ar­rête mon long récit sur une petite enfance sous l’an­nexion alle­mande ».

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MENGUS Paul

Commentaire (0) La vie quotidienne dans les provinces annexées

Paul Mengus rassemble ici ses souve­nirs de l’éva­cua­tion à Limoges, d’un père combat­tant dans les Vosges, de sa scola­rité en Alsace annexée, de l’in­cor­po­ra­tion forcée de son frère aîné ou encore de la Libé­ra­tion.

« Pour le gamin de 6 ans que j’étais, la vraie guerre commença par l’éva­cua­tion, le 3 septembre 1939, à Limoges. Maman, fonc­tion­naire des PTT était affec­tée dans ce chef-lieu de la Haute-Vienne et devait donc s’ex­pa­trier avec ses trois enfants en emme­nant sa mère, Papa ayant été incor­poré depuis quelques semaines dans l’Ar­mée française. Après de rapides prépa­ra­tifs, nous voilà dans le train – Maman, Grand’Mère, Jean-Pierre (15 ans), moi-même (6 ans) et Claude (4 ans) – avec seule­ment quelques bagages à main.

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Soldats français captu­rés après la bataille du Donon en 1940. Le Retour ligne auto­ma­tique 1er soldat du 1er rang à partir de la gauche est, très certai­ne­ment,Retour ligne auto­ma­tique Auguste Mengus. (Coll. parti­cu­lière)

Ce départ faisait suite à un premier « exer­cice », en 1938, où nous avions été évacués, de nuit, à Still (vallée de la Bruche) sur une char­rette tirée par deux chevaux.

Entre-temps, nos parents mirent les objets de valeur (tels que tableaux, vais­selle en porce­laine, couverts en argent, etc.) en sûreté chez des viti­cul­teurs de Blien­sch­willer. Bon réflexe au demeu­rant. Hélas, après guerre, ces gentils paysans leur décla­rèrent que tous leurs biens avaient été volés (après enquête auprès de voisins, il appa­rut que rien d’autre n’avait disparu, ce qui peut corro­bo­rer la thèse du doute). Le dossier « Dommages de guerre » consti­tué en vue de rembour­se­ment fut rejeté. Pour quelles obscures raisons ce dossier n’était-il pas conforme pour répondre aux critères de spolia­tion ? Nous l’igno­rons toujours.

Mais, reve­nons à Limoges où l’ac­cueil fut mitigé. Mais peut-on en vouloir à des autoch­tones, sans doute peu au fait des ques­tions de géogra­phie et d’his­toire de France, de ne pas accueillir à bras ouverts cette masse de « Teutons » ?

La Noël 1939 nous permit de revoir Papa venu en permis­sion pour quelques jours en uniforme français. Il rejoi­gnit ensuite son unité sur un front furtif et fut fait prison­nier par les troupes alle­mandes dans les Vosges, dans la région du Donon.

Volk­schule et bombar­de­ments

Arrivé à la maison (au 14, rue Edouard Teutsch, rebap­ti­sée par les Alle­mands « Lützel­stei­ners­trasse »), la vue de l’uni­forme français de Papa accro­ché au porte-manteaux, dans l’en­trée, me rassura. Papa ne tarda d’ailleurs pas à nous rejoindre. Il avait trouvé un travail de vendeur/ache­teur chez son frère aîné, Eugène, qui diri­geait une coopé­ra­tive de cordon­niers (cuirs et outillages), en atten­dant de trou­ver un emploi défi­ni­tif.

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Les décombres de l’im­meuble de la « Librai­rie Gangloff » au 20, place de la Cathé­drale, le 25 septembre 1944 (coll. Archives Muni­ci­pales de Stras­bourg)

A partir de ce moment se mit en route une vie que chacun accom­moda à sa façon, selon qu’il se sentait fort, faible ou simple­ment équi­li­bré, selon qu’il était enfant, adoles­cent ou adulte.
Le sujet traité étant l’en­fance, je me borne­rais à l’évo­ca­tion de quelques « souve­nirs » restés en mémoire après presque six décen­nies.
Dès les premiers jours d’école – la Volk­schule –, il fallut se rendre à l’évi­dence que la langue apprise à Limoges appar­te­nait désor­mais au passé : le Hoch­deutsch se substi­tuait au français. Chaque matin, le premier quart d’heure était réservé aux commen­taires du maître sur les victoires de l’Ar­mée alle­mande sur les diffé­rents fronts ; la géogra­phie n’avait plus de secret pour les petits Alsa­ciens. Si la majo­rité des membres de l’équipe ensei­gnante était « sympa », il y avait tout de même un quar­te­ron de Nazis qui, lors des diffé­rentes fêtes ou commé­mo­ra­tions, assu­raient leurs cours revê­tus de leur uniforme du parti, la NSDAP (Natio­nal Sozia­lis­tiche Deutsche Arbei­ter Partei). Lors de ces céré­mo­nies, la montée du drapeau à croix gammée, au mât planté au centre de la cour de récréa­tion de la « Schoep­flin­schule », était effec­tuée en présence de l’en­semble des person­nels et des élèves, le bras droit levé.
Les cours étaient bien souvent inter­rom­pus par le hurle­ment des sirènes annonçant le passage d’avions alliés, parfois accom­pa­gnés de bombar­de­ments, avec des rafales de mitrailleuses anti-aériennes lourdes et des déto­na­tions offertes par la DCA (Défense contre les avions) alle­mande implan­tée autour de la ville, notam­ment dans la cein­ture des forti­fi­ca­tions de Vauban comme, par exemple, près de la place de Bordeaux, à l’em­pla­ce­ment de l’ac­tuel Lycée Kléber.
Au cours de ces « récréa­tions impromp­tues », tout le monde se retrou­vait dans les caves de l’école, le mouchoir humi­di­fié comme protec­tion éven­tuelle contre la pous­sière en cas de bombar­de­ment du bâti­ment, ce qui heureu­se­ment ne s’est jamais produit. Pendant la durée de l’alerte, tout ce petit monde était obligé de chan­ter pour atté­nuer le bruit des déto­na­tions et évacuer la peur des plus sensibles.
Il va sans dire que nous subis­sions aussi des alertes aériennes nocturnes. Il nous fallait descendre, encore à moitié endor­mis, les quatre étages de notre immeuble pour nous réfu­gier dans la cave que mon père, avec l’aide d’un voisin – M. Kuntz, dont un fils incor­poré de force fut tué sur le font russe –, avait étayé avec de gros madriers en chêne (Ces madriers en chêne prove­naient des maisons détruites par les bombar­de­ments et étaient distri­bués à cet effet. Mon père travaillait alors au service Wiede­rauf­bau (Recons­truc­tion) auprès du « Chef der Zivil­ver­wal­tung » (Admi­nis­tra­tion civile), implanté à l’époque dans les bureaux des bâti­ments de la rue Brûlée (« Brand­gasse ») conti­gus à l’Hô­tel de la Préfec­ture et rési­dence du Gaulei­ter Wagner.) . Cette char­pente massive était rassu­rante, car la peur d’un effon­dre­ment était perma­nente. A la fin de l’alerte – que nous, gamins, souhai­tions qu’elle eût lieu à minuit passé, car les cours étaient, dans ce cas, reporté à 9 heures –, nous remon­tions nous coucher après avoir scruté le ciel direc­tion nord/nord-est qui, lors des bombar­de­ments de Karls­ruhe, se tein­tait d’une couleur rosâtre.

Lors de l’at­taque aérienne du 11 août 1944, je me trou­vais, avec mon frère Claude, place de la Cathé­drale. Les bombes tombaient drues (chif­frées à 1544 d’après les rapports d’après guerre). La coupole de la cathé­drale était détruite – elle eut d’autres impactes –, le Palais des Rohan fut forte­ment touché et un immeuble, coté Maison Kammer­zel, rasé. Ce fut la première fois que je me trou­vais au centre d’un tel séisme : les fenêtres et les volets furent proje­tés dans la rue, souf­flés par l’ex­plo­sion, suivis d’une fumée grise, puis la façade entière bascula. Les étages de la maison s’af­fa­lèrent pour ne former qu’un grand amas de gravats dans un nuage de pous­sière.

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La Phar­ma­cie du Cerf aujourd’­hui (Photo N. Mengus)

Un adulte nous poussa sans ména­ge­ment à l’in­té­rieur de la phar­ma­cie du Cerf devant laquelle nous nous trou­vions et nous fit descendre dans la cave qui est incroya­ble­ment profonde dans cette très vieille bâtisse médié­vale. Lorsque le vacarme des explo­sions cessa, il devait être aux envi­rons de 11 heures. Sans attendre la sirène de fin d’alerte, nous remon­tions de la cave pour prendre le chemin de retour à la maison. Un grand nombre de cratères, lais­sés par les explo­sions de bombe, et les maisons effon­drées entra­vaient notre parcours : rue du Parche­min, près de la Poste centrale – qui était, elle aussi, touchée (le central télé­pho­nique au milieu du bâti­ment, heureu­se­ment que Maman n’était pas de service !) –, rue des Arque­bu­siers…. Partout régnait une forte odeur de gaz, d’eau mélan­gée au plâtre et aux gravats, qui prenait à la gorge. Le cratère, au milieu de la rue des Arque­bu­siers, commençait déjà à se remplir d’eau à la suite d’une rupture des cana­li­sa­tions.
Arri­vés rue Ohmacht, nous décou­vrîmes que la Clinique Béthesda avait été touchée. La salle d’opé­ra­tion était détruite, des sœurs bles­sées et la sœur-infir­mière du Bloc opéra­toire, qui m’avait déjà soigné pour de petits bobos, tuée. Quelle tris­tesse !
Enfin la « Lützel­stei­ners­trasse » ! Maman nous atten­dait. On comprend son soula­ge­ment quand elle nous a vu débou­ler à l’en­trée de la rue. Contrai­re­ment à ce que l’on nous montre actuel­le­ment à la télé­vi­sion, les gens restaient calmes et dignes dans la douleur ; pas de cris hysté­riques, pas de grande gesti­cu­la­tions théâ­trales, mais un stoï­cisme impres­sion­nant pour moi, surtout avec le recul.
Papa rentrait lui aussi aux envi­rons de midi. Le repas préparé restait froid. La faim habi­tuelle à cette heure avait disparu.
Le nombre des victimes décé­dées lors de ce bombar­de­ment se monte à plusieurs centaines. Mais la vie repre­nait. Jean-Pierre, le grand-frère, était dans la Wehr­macht, enrôlé de force comme des dizaines de milliers d’Al­sa­ciens-Mosel­lans (depuis le 17 février 1943) .

« Me voilà donc Pimpfe »

Un petit retour dans le temps s’im­pose. Ma scola­rité se passait plutôt bien et il fut envi­sagé que j’ac­cè­de­rai, à la rentrée prochaine, dans le secon­daire, ce qui n’était pas chose acquise à cette époque. Pour entrer en 6e, il fallait passer un examen – qui fut main­tenu après guerre et qui aurait dû être péren­nisé par la suite –, mais il fallait en plus adhé­rer au Jung­volk (JV).

Compte tenu de mon projet scolaire, me voilà donc Pimpfe, nom donné aux jeunes de moins de 14 ans, avant de passer dans la Hitlerju­gend (HJ), ce qui était obli­ga­toire pour pouvoir envi­sa­ger des études secon­daires, voire supé­rieures. Le Pimpfe ne portait pas le Dolch (poignard) comme le HJ, mais se devait d’as­sis­ter aux rassem­ble­ments les mercre­dis après-midi, de parti­ci­per aux multiples quêtes dans la rue, avec les fameuses Sammelbüchse, pour le WHW (Winte­rhilf­swerk), pour les soldats du front (Frontkämp­fer) , pour le parti, etc. Il en fut de même pour les opéra­tions de collecte de vieux chif­fons, papiers, vieilles ferrailles, ainsi que de la cueillette de diffé­rentes plantes médi­ci­nales telles qu’or­ties, plan­tain, etc.
Certains événe­ments ponc­tuaient cette vie deve­nue, par la force des choses, somme toute normale pour des enfants. Par exemple, la condam­na­tion à mort par le Volks­ge­richt­shof de mon cousin René, neveu de Papa, jeune ingé­nieur des mines mêlé à un réseau de résis­tants (René Mengus fut condamné en 1942. Comme il ne fallait surtout pas en parler devant les « enfants », je n’ai pas de détails concer­nant cet épisode. Ce que je sais, c’est que René entra, après la guerre, au Lycée tech­nique (actuel­le­ment Lycée Couf­fi­gnal, à la Meinau) en tant que profes­seur de Cons­truc­tion. Il décéda dans les années 1960 des séquelles de son incar­cé­ra­tion) ou encore l’ar­res­ta­tion de Papa par la Gestapo et inter­rogé pendant trois jours et deux nuits sur dénon­cia­tion du Block­lei­ter Heidt : « Vos fils sifflent la Marseillaise dans la cage d’es­ca­lier (tous les membres d’une famille dont un élément était déporté et interné dans un camp de concen­tra­tion deve­naient suspects. Je suppose que la réten­tion de mon père au siège de la Gestapo, rue Sellé­nick, est en partie liée à cet événe­ment et que le compor­te­ment des deux enfants ne servit que de prétexte.) !! » .
Comme les cours deve­naient de plus en plus aléa­toires, les écoles furent fermées. Pour nous occu­per, nous aidions Madame Wass­mer, l’épi­cière du coin de la rue (dont le mari était, lui aussi, incor­poré de force, et qui avait un fils de mon âge prénommé Jean-Pierre), dans son maga­sin : range­ment des denrées, distri­bu­tion de lait (contre tickets de ration­ne­ment), appro­vi­sion­ne­ment au marché, livrai­sons aux personnes âgées, etc.

Le Volks­turm

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Les libé­ra­teurs de Stras­bourg. (Coll. L’Ami hebdo)

Puis, vint le 23 novembre 1944. Une jour­née froide et maus­sade. Le matin, on enten­dait le canon tonner au loin. Mon père était absent de la maison depuis quelques jours. Lui aussi avait été, à 44 ans, incor­poré dans le Volks­turm (la « tempête popu­laire » !). Le grand Reich voulait lui apprendre le manie­ment de la Panzer­faust (bazooka alle­mand) pour arrê­ter les chars de la 2e DB du géné­ral Leclerc ! Quelle aber­ra­tion ! En compa­gnie de jeunes vieux ou de « vieux » tout court, rassem­blés au Quar­tier Lizé au Neuhof, son enthou­siasme peut se devi­ner aisé­ment.
Ce matin donc, nous n’avions pas le droit de « descendre » dans la rue ! Mais les rumeurs s’am­pli­fiaient de maison en maison, d’étages en étages : ILS sont à l’en­trée de Koenig­shof­fen, ILS viennent par Cronen­bourg, à 3 ou 4 kilo­mètres à vol d’oi­seau.

Les rafales de mitrailleuses lourdes et les coups de canon des chars deve­naient de plus en plus forts. Malgré cela, nous nous risquions à descendre dans la rue d’au­tant que nos copains y étaient. De petits groupes de personnes s’étaient formés et discu­taient, grands gestes à l’ap­pui.
En début d’après-midi, je vis un clochard au bout de la rue qui s’avançait d’un pas décidé. « Mais c’est ton père ! » s’ex­clama une copine. Je n’en croyais pas mes yeux : l’homme portait un vieux feutre enfoncé sur la tête, une veste brune en velours côtelé qui, à l’ar­rière, n’avait plus que la doublure, un panta­lon trop court. Peu impor­tait : il était de retour, ayant réussi dans la débâcle, non seule­ment à s’échap­per, mais aussi à passer entre les colonnes de la 2e DB qui repre­nait notre ville quar­tier par quar­tier (au moment de son évasion du Quar­tier Lizé, mon père portait l’uni­forme alle­mand, ce qui inter­di­sait tout dépla­ce­ment dans Stras­bourg en ce jour histo­rique. Il se réfu­gia dans un immeuble, route du Neuhof (l’équi­valent des « SIBAR » actuelles, loge­ments réser­vés aux fonc­tion­naires), qui était occupé en majo­rité par des familles de la Police muni­ci­pale. Ce sont des épouses compré­hen­sives qui lui trou­vèrent cet accou­tre­ment qui lui permit de traver­ser la ville.) !

Peu de temps après, enhar­dis, nous pous­sions nos expé­di­tions vers le centre-ville après avoir croisé le premier half-track (camion blindé tout-terrain chenillé à l’ar­rière) près du parc des Contades. Arri­vés à la hauteur de l’ave­nue des Vosges, nous dûmes rebrous­ser chemin. Danger ! ! Des colonnes de chars, comme au défilé, déva­laient cette large avenue qui mène au Pont du Rhin. Au carre­four, sur le trot­toir, se trou­vait une petite Simca 5 verte dont la vitre arrière et le pare-brise étaient en éclats. Sur le siège du conduc­teur, affalé sur le volant, un offi­cier alle­mand, la nuque ensan­glan­tée, était mort. Cet Alle­mand avait essayé de fuir devant l’avan­cée des troupes de Leclerc, dans la direc­tion du Rhin, mais fut atteint par des balles de 12,7 des armes alliées et son véhi­cule percuta le mur en grès rouge d’une maison de la rue du Géné­ral Gouraud. Ce fut, à l’âge de 11 ans, le premier cadavre que j’eus devant les yeux. Hélas, il y en eut d’autres.
Deux jours après ces événe­ments, en repas­sant à l’en­droit décrit plus haut, la petite Simca 5 avait été pous­sée sur la pelouse du Contades et le malheu­reux était couché à même le sol, au bord du trot­toir. Sa tête était recou­verte d’un « chif­fon » et ses chaus­sures avaient été volées. Personne n’avait songé à enle­ver cette dépouille mortelle, nos respon­sables muni­ci­paux avaient certai­ne­ment d’autres prio­ri­tés. Et, après tout, ce n’était qu’un « Schleu ». Pauvre huma­nité ! C’est beau, la guerre ! !

Un pendu

Nos « péré­gri­na­tions » nous emme­naient à traî­ner un peu partout. Nous visi­tions les appar­te­ments qu’a­vaient occu­pés les partis nazis (Orst­gruppe, NSDAP, NSKK, etc.), les case­mates où étaient encore stockés le ravi­taille­ment et autres subsis­tances des Alle­mands. Nous n’étions de loin pas les seuls : ces lieux étaient prisés notam­ment par d’in­nom­brables indi­vi­dus dont certains arbo­raient un bras­sard bleu-blanc-rouge, armés de pisto­lets, de fusils ou de pisto­lets-mitrailleurs, et qui nous chas­saient afin de s’ap­pro­prier les victuailles aban­don­nées par l’ar­mée alle­mande en déroute.
Le troi­sième jour après la Libé­ra­tion, nos expé­di­tions nous menèrent derrière les case­mates de la rue Jacques Kablé (actuel Lycée Kléber). Une infor­ma­tion nous était parve­nue : il y a un offi­cier alle­mand mort, pendu dans le bunker. Arri­vés sur les lieux, il y avait effec­ti­ve­ment un homme en uniforme d’of­fi­cier pendu, la langue coin­cée entre les dents, la bouche entrou­verte. Ce qui me choqua, c’est que l’an­nu­laire droit avait été sectionné pour lui voler son alliance. Personne, dans ce cas aussi, n’avait pensé à le décro­cher. Déci­dé­ment, c’est beau la guerre !!

Plus tard, à la fin de l’hi­ver, les cours repre­naient et je pus enfin entrer en 6e, année forcé­ment écour­tée, après ce fameux examen où l’épreuve de mathé­ma­tiques portait sur le prix de revient des pommes de terre. Je ne connaî­trais jamais le nom de l’au­teur imbé­cile de ce sujet, mais ce qui est sûr, c’est qu’il igno­rait que l’ali­men­ta­tion était ration­née, que le marché noir fleu­ris­sait et qu’il fallait des tickets pour subsis­ter.
Mes parents reprirent leur travail respec­tif dans la fonc­tion publique (Ma mère réin­té­gra, après avoir béné­fi­cié d’un congé paren­tal pour élever ses deux plus jeunes enfants, les PTT en qualité de surveillante au Central télé­pho­nique. Mon père inté­gra le Minis­tère de la Recons­truc­tion et de l’Ur­ba­nisme à Stras­bourg, en 1945, en qualité d’at­ta­ché. Son expé­rience au Wiede­rauf­bau alle­mand lui permit d’être au fait des dossiers immé­dia­te­ment. Il n’exis­tait pas un village dans le Bas-Rhin dont il ne connais­sait l’éten­due des dégâts.) . Mon frère Jean-Pierre, libéré enfin, ne tarda pas à se marier et nous quit­tait à nouveau. Quant à Claude, il repre­nait lui aussi ses études.

Une page de la vie d’un gamin était tour­née, mais le livre ne sera jamais fermé défi­ni­ti­ve­ment ».

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KIRCHHOFF Denise

Commentaire (0) La vie quotidienne dans les provinces annexées

Scola­ri­sée à Stras­bourg, Denise Mengus se souvient des bombar­de­ments et des dangers auxquels les élèves s’ex­po­saient en répon­dant de façon irré­flé­chie aux ques­tions de leurs profes­seurs.

Denise Kirchhoff et son fiancé Jean-Pierre Mengus

Denise Kirch­hoff et son fiancé Jean-Pierre Mengus

« Lorsqu’é­clata la guerre, à la fin de l’été 1939, j’avais 14 ans, et j’étais immer­gée dans le monde du sport, de l’ath­lé­tisme en parti­cu­lier. Je venais de gagner la « triple épreuve » et rêvais… des prochains Jeux Olym­piques!!!

Avec l’éva­cua­tion des Stras­bour­geois, je restais éloi­gnée des stades durant un an. Puis, je me suis retrou­vée émer­veillée par ce que les « enva­his­seurs » d’Outre-Rhin nous offraient au niveau spor­tif: toutes les disci­plines dans le cadre scolaire, des faci­li­tés à les pratiquer dans des clubs (ASS-ASPTT).

A 15/16 ans, on ne se sentait pas concer­nés du tout par les ques­tions poli­tiques qui préoc­cu­paient sérieu­se­ment les adultes. La cama­ra­de­rie se déve­lop­pait autour des stades, des sorties dans les Vosges, les baignades au Bain Weiss, Bagger­see, Bad Mathis, etc.

Que l’on nous obli­geait à porter souvent l’uni­forme, nous inci­tait à braver l’in­ter­dic­tion de la langue française. Tout cela me laisse un souve­nir d’in­sou­ciance, que les adultes trai­taient d’in­cons­cience: „Wie ein Blitz aus heite­rem Himmel“. Ce château de cartes s’ef­fon­dra lors de l’in­tro­duc­tion du Reich­sar­beits­dienst (RAD), tant pour les filles que pour les garçons.

Ensuite, lorsque nos copains ont dû revê­tir l’uni­forme de la Wehr­macht, nous avons vite compris ce que signi­fiait le mot « guerre » et comme un régime tota­li­taire débouche dans l’hor­reur: la mort ou la dépor­ta­tion pour les récal­ci­trants.

„Volks­deutsche Elsäs­ser“

Me desti­nant à l’en­sei­gne­ment de l’EPS, j’ai réussi à échap­per aux contraintes des diffé­rents „Krieg­shilf­sdienst“ (Service auxi­liaire de guerre). J’ai été une « privi­lé­giée ».

Avec la mobi­li­sa­tion de mes copines et leur trans­fert en Alle­magne, nos parcours se sont sépa­rés. Les liai­sons avec les copains enga­gés sur le front de l’Est étaient rompues. A la Libé­ra­tion, peu de couples d’amou­reux avaient survécu à cette période tragique.

De nouveaux groupes d’amis se forgèrent car on ne portait pas le deuil des dispa­rus, on gardait espoir. Les tristes anec­dotes s’ou­blient, telle la dispa­ri­tion d’une copine de classe, lors d’un des bombar­de­ments de la ville, qui a même donné lieu à une méprise typique du régime: le lende­main, lors du poin­tage des présentes en classe, le prof m’en­gueule d’un sec „Wo ist Anna?“ (« Où est Anna? ») et je réponds un peu naïve­ment „Sie ist tot“ (« Elle est morte »). Et me voilà accu­sée d’ou­trance à un digni­taire du parti. Aujourd’­hui, on ne peut plus s’ima­gi­ner jusqu’où pouvait conduire une réponse candide.

Le Bund deutscher Mädel

Le Bund deut­scher Mädel Section fémi­nine de la Hitlerju­gend, à Franc­fort-surle- Main en 1937. Pour les jeunes Alsa­ciennes de 14 à 18 ans, l’adhé­sion à cette orga­ni­sa­tion devient obli­ga­toire en 1942. (Photo KNA, coll. L’Ami hebdo)

Plus grave fut la ques­tion perni­cieuse d’un prof alsa­cien parti­cu­liè­re­ment zélé dans l’en­sei­gne­ment poli­tique : „Was sind wir ? “ (« Que sommes-nous ? »). Une élève croit bien faire en répon­dant „Deutsche “ (« Alle­mands »). Un toni­truant „Nein !“ du prof laisse la salle perplexe. La réponse „Elsäs­ser“ est égale­ment reje­tée par le prof. Pour ma part, j’avais eu connais­sance d’un cas de mariage entre une Alsa­cienne et un Alle­mand du Nord. Je lève le doigt… „Ja, sag es ihnen !“ (« Oui, dis-leur! »). Toute décon­trac­tée, j’an­nonce „Fran­zo­sen !“. Sur ce, on enten­dait une mouche voler, le temps de me conduire chez le direc­teur de l’éta­blis­se­ment pour enga­ger les pour­suites! Ce n’était pas facile de leur prou­ver que je ne répé­tais que l’avis d’un fonc­tion­naire d’Etat Civil du IIIe Reich qui faisait des diffi­cul­tés à cet Alle­mand du Nord qui s’ima­gi­nait pouvoir épou­ser une « Française de nais­sance ».

La bonne réponse au prof devait bien sûr être: „Volks­deutsche Elsäs­ser“. Est-il néces­saire de préci­ser que toute contes­ta­tion était passible d’un séjour au camp de Schir­meck? ».

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Les archives russes de Tambow bien­tôt en Alsace ?

Commentaire (0) Actualité

 

Le camp n°188 de Tambow est l’em­blème des souf­frances de l’en­semble des incor­po­rés de force alsa­ciens et mosel­lans. Il résume à lui seul toute la complexité de la situa­tion des Malgré-Nous. Plus de 60 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les archives russes sont sur le point d’être trans­fé­rées dans notre région grâce à l’As­so­cia­tion des Anciens de Tambow et autres camps1.

C’est en 1996 que Charles Klein, président de l’As­so­cia­tion du Pèle­ri­nage de Tambow, a pu accé­der aux dossiers concer­nant le camp n°188 et l’hô­pi­tal de Kirsa­now. Grâce aux nombreux contacts amicaux noués depuis des années entre l’Al­sace et l’oblast (région) de Tambow, le maire de cette commune a proposé à Charles Klein d’en effec­tuer des copies et de les expé­dier en Alsace.

Une chance pour les famil­les…

L’en­semble de ces dossiers repré­sente sept mètres linéaires d’ar­chives. Leur contenu exact n’est pas connu, mais l’on sait qu’il s’y trouve des listes d’Al­sa­ciens et de Mosel­lans qui ont
été inter­nés ou qui sont morts à Tambow entre 1943 et 1945. L’une d’elles recense plus de 1000 Alsa­ciens et Mosel­lans décé­dés entre juin 1944 et août 1945.

Jean Benoît et Emile Roegel, respec­ti­ve­ment président hono­raire et vice président de l’As­so­cia­tion des Anciens de Tambow et autres camps, qui suivent égale­ment ce projet de rapa­trie­ment, rappellent que le taux de morta­lité dans le camp était énorme : entre janvier et mai 1945, on a dénom­bré 1752 décès. D’autres listes font mention des mala­dies dont souf­fraient les incor­po­rés de force, mais proba­ble­ment aussi des dépla­ce­ments vers d’autres camps ou des comman­dos de travail.

Leurs souve­nirs du camp ont alors afflué. Ils se sont souve­nus de tout jeunes incor­po­rés de force : l’un, de Weyer­sheim, était né en 1927 ; un autre origi­naire de la vallée de la Bruche, né
en 1928, avait été enrôlé peu avant le 22 novembre 1944 ! E. Roegel rapporte que les nouvelles arri­vaient à Tambow par le biais de « nouvel­listes » qui dispo­saient d’une radio. Ces derniers passaient de baraques en baraques pour diffu­ser les nouvelles. C’est ainsi qu’E. Roegel a pu se consti­tuer une carte où figu­raient presque toutes les poches de combats le long du Rhin. Ils se souviennent aussi que le géné­ral De Gaulle, en visite à Moscou, est passé en train à Tambow sans pouvoir s’y arrê­ter. Un senti­ment d’aban­don gagne les trois hommes : « Il savait bien que nous y étions… ». Ce senti­ment perdu­rera après la guerre où « il ne fallait pas frater­ni­ser avec tout ce qui était alle­mand  ». Et J. Benoît, un des 1500 libé­rés en juillet 1944, a rappelé que François Mitter­rand, alors ministre des Anciens Combat­tants, a été le premier à parler offi­ciel­le­ment des « 1500 » en France.

Une ques­tion taraude toujours les trois hommes : « Pourquoi les incor­po­rés de force étaient-ils moins bien trai­tés à Tambow que les Alle­mands ? »

Les trois hommes ont aussi évoqué la récente dispa­ri­tion du peintre Camille Claus qui fut, lui-aussi, captif au camp n°188. Ce dernier avait fait don aux Anciens de Tambow d’un diptyque à la mémoire des incor­po­rés de force décé­dés pendant la guerre. Cette oeuvre a ensuite été donnée au Mémo­rial d’Al­sace-Moselle de Schir­meck, mais elle n’a pu être inté­grée dans la muséo­gra­phie.

… et pour les histo­riens

L’ac­qui­si­tion de la tota­lité de ces archives repré­sente une chance pour les familles qui recherchent la trace d’un proche porté disparu et pour les histo­riens qui s’in­té­res­se­ront à cette tragé­die. En effet, les archives WASt de Berlin n’ayant pas encore été étudiées dans leur globa­lité, il n’existe aucune liste recen­sant tous les incor­po­rés de force, ni de synthèse sur les dispa­rus. Les chiffres offi­ciels avancent le nombre de 40.000 Malgré-Nous décé­dés ou dispa­rus, or seuls la moitié d’entre eux ont été offi­ciel­le­ment décla­rés morts. Et ces chiffres ne sont que des esti­ma­tions. Par ailleurs, il est regret­table que notre pays ne se soit pas doté d’une orga­ni­sa­tion comme le Volks­bund Deutsche Krieg­sgrä­berfür­sorge e.V. alle­mand spécia­lisé dans la recherche des lieux de sépul­ture.

Devant l’in­té­rêt mani­feste des Russes pour ce drame humain que repré­sente Tambow, MM. Benoît, Klein et Roegel – qui ont par ailleurs été inter­viewés en Alsace, il y a quelques semaines, par la première chaine de la télé­vi­sion russe – ont un autre regret : que les archives françaises ne soient toujours pas acces­sibles. En tout cas, il ne fait aucun doute que « ce trans­fert de docu­ments permet­tra d’éclair­cir la situa­tion encore floue et peu chif­frable en l’état actuel sur l’oc­cu­pa­tion du camp à l’époque, sur le nombre de personnes ayant tran­si­tées par ce camp […]. Ce serait impar­don­nable de ne pas saisir cette chance ».

Les dossiers, une fois photo­co­piés, seront traduits et exploi­tés en Alsace. Il restera ensuite à défi­nir les moda­li­tés de leur consul­ta­tion par le public. Mais, pour le moment, il s’agit d’ob­te­nir le concours des instances régio­nales et des collec­ti­vi­tés dépar­te­men­tales d’Al­sace et de Moselle. L’as­sis­tance de la Fonda­tion « Entente Franco-Alle­mande » sera égale­ment solli­ci­tée, les asso­cia­tions ne dispo­sant pas des moyens néces­saires ; le prix du trai­te­ment d’un dossier est estimé à 27 ou 30 roubles (soit un peu moins d’un euro/dossier) et l’en­semble pour­rait être évalué à 5000 euros. L’opé­ra­tion devrait être lancée au début de l’au­tomne 2005.

Nico­las Mengus

1. Asso­cia­tion des Anciens de Tambow et autres camps 11, rue Kuhn 67000 Stras­bourg.

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